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mot clé «peoples»
Swiss Press Photo 2008

Swiss Press Photo a désigné ses lauréats pour 2008. Le grand prix est décerné à Charles Ellena pour une photo de... Christophe Blocher ! « Kopfertami nonemôôl, encore lui ! » [1] ne peut-on s’empêcher de dire. Depuis son éviction du Conseil Fédéral jusqu’à sa récente et pathétique re-candidature pour le même poste, la presse et les autres médias n’en peuvent plus de nous abreuver de tout ce qui touche de près ou de loin à ce personnage. Sur son blog Piques et répliques, Daniel Schöni-Bartoli relève que Le Matin lui a consacré 8 articles en 4 jours : [2] ...« Il reste une vingtaine de jours jusqu’à l’élection d’un nouveau membre du gouvernement en remplacement du démissionnaire. Va-t-on assister à un déluge blochérien quotidien pendant ces 3 semaines ? Nous arrivons à une personnalisation de la politique totalement hors de proportion avec les pratiques habituelles de notre pays. Le Matin a aussi convoqué tout le ban et l’arrière-ban de l’UDC ainsi que les dirigeants des autres partis pour commenter la chose, pour la faire mousser un maximum... » On peut aussi se demander quel attrait ce pesant personnage peut avoir par rapport à des pipole bien plus légers et agréables à l’oeil du lecteur du Matin ? Peut-être faut-il y voir le rôle de l’ogre, qui à l’instar de celui des contes, est plébiscité par les enfants malgré la peur qu’il engendre ?

Toutefois, la photo lauréate (parue dans Le Matin) se distingue de l’imagerie habituelle. Lors d’une grande manifestation du parti UDC à Berne, le photographe Charles Ellena ne s’est pas joint à la meute de ses collègues qui traquaient l’agitation en ville. Il s’est posté auprès de Blocher attendant le signal de départ pour la manif. On le voit de loin (au grand angle) dans un jardin public, avec son épouse, attendant sagement le signal de départ du cortège. Tous les deux sont entourés d’une meute de gardes du corps. J’en dénombre 9, mais il y en a peut-être d’autres planqués dans les fourrés ou simplement hors champ. En Suisse, un tel déploiement est assez inhabituel. Il faudrait une visite d’état de la part d’une très grande puissance mondiale pour engendrer de pareils dispositifs. Que veut donc nous dire cette photo ? Que Blocher est un grand homme superpuissant ? Qu’il est le roi du pays ? Que des méchants lui veulent du mal et qu’il doit s’en protéger ? Qu’il accepte avec courage de se battre pour notre bien ? Ou simplement la (relative) solitude du pouvoir ?

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© Charles Ellena - Keystone - Swiss Press Photo

A l’époque, Blocher était encore (pour 2 mois) Conseiller fédéral et accessoirement chef du Département fédéral de justice et police. La manifestation à laquelle il se rendait (6 octobre 2007) devait réunir 10’000 partisans de l’UDC. Elle était ressentie comme une manifestation de force, une provocation, qui ne pouvait laisser indifférents une gauche radicale et les casseurs. On pouvait donc bien s’attendre à quelques débordements. Fallait-il pour autant une garde rapprochée de cette importance ? N’étant pas spécialiste en matière de protection du patrimoine politique, je ne me prononcerai pas. Par contre, ce dont je suis sûr, c’est que dans un pays où l’on peut aisément croiser des représentants de nos plus hautes autorités dans des lieux publics sans qu’un service d’ordre se fasse remarquer, cet étalage ostentatoire de bodyguards est frappant.

Derrière son aspect anecdotique, cette photo, véhicule des messages bien plus forts que les portraits un peu bonasses du personnage auxquels nous sommes habitués. On y trouve la manifestation d’une puissance calme, sûre d’elle et intouchable. Peut-être que ce spectacle n’a pas été mis en scène par Blocher et ses communicants (qui ne sont pourtant pas nés de la dernière provocation) et dans ce cas, c’est tout à l’honneur du photographe de l’avoir débusqué.

D’autres photographes ont été distingués par le jury :
- Magali Girardin, Genève, pour un travail sur la prostitution masculine
- Ruth Erdt, Zürich, pour une série d’images avec ses propres enfants
- Olivier Vogelsang, Genève, qui gagne 2 prix, l’un pour des fans de l’équipe suisse de football et l’autre pour des danseuses et des danseurs du Ballet du Grand Théâtre de Genève.
- Jean Revillard, Genève, pour ses photos d’abris provisoires d’immigrés clandestins dans les bois environnant Calais. Cette série avait déjà été récompensée d’un prix au Worldpress 08 et lui avait valu quelques critiques, dont celles de Louis Mesplé (Rue89).

Les photos lauréates sont à voir ici. La description de tous les prix distribués se trouve ici. On peut obtenir le catalogue en librairie ou directement chez l’éditeur.

Notes:

[1] Kopfertami nonemôôl
Juron très commun en Suisse alémanique, correspondant à peu près à « nom de dieu ». Essai d’éthymologie...
Kopfertami : Gott verdammt = littéralement : dieu damné
nonemôôl : noch einmal = encore une fois (s’utilise comme « une fois » en Belgique)

[2] Depuis la date de ce billet, ça continue évidemment. Il faut dire aussi que les autres journaux ne sont pas en reste, mais je n’ai pas compté !

Béat Brüsch, le 30 novembre 2008 à 18.57 h
Rubrique: A propos d’images
Mots-clés: peoples , photojournalisme , presse
Commentaires: 1

Sérendipité [1] ordinaire : j’ai été remis en présence de cette photo et elle m’interpelle. Le personnage central est le Général Guisan, chef de l’armée suisse durant la 2e guerre mondiale et grande figure nationale. En ces temps troublés, l’armée était chargée (entre autres) de surveiller la presse et l’information afin de maintenir l’esprit combatif de la population. Le Général incarnait cet esprit et ses photos n’échappaient donc pas à la censure. Cette photo fut interdite de publication : « Trop proche du peuple » déclara l’État-major personnel du général le 20 avril 1944.

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Crédits : Max Widmer / Archives fédérales suisses, Inv. E 4450/740. D’après un article du magazine « Objectif » de l’exposition Images mensongères à Berne.

La photo, mais surtout le motif de censure, fait immédiatement penser à la photo officielle du Conseil Fédéral de cette année (ci-dessous). Quel chemin parcouru ! Aujourd’hui, pour gouverner, il faut se mêler au peuple, il faut prendre son bain de foule régulièrement (enfin, surtout s’il y a des caméras).
Mais qu’est-ce qui pouvait bien déranger dans cette photo ? On a dû penser que la dignité d’un chef souffrirait de le voir ainsi mêlé au peuple. Le protocole et les conventions de l’époque exigeaient une certaine distance, voire une raideur toute militaire. Mais peut-être a t’on juste trouvé que la photo était « mauvaise », ce qui n’est pas forcément de la censure. En effet, les enfants du premier plan, vus de dos, et flous de surcroit, ont peut-être indisposé un esthète du département militaire ? Aujourd’hui, on jugerait ces éléments plutôt comme un témoignage de la spontanéité du moment pris sur le vif. Mais un militaire n’a que faire de la spontanéité et du « désordre » que cela laisse sous-entendre. On veut bien des photos avec des gens, mais sous contrôle et bien alignés. Tiens, finalement les choses n’ont peut-être pas tellement changé... la foule de la photo officielle du Conseil Fédéral elle aussi, est bien alignée. Elle a même dû poser pour y arriver. Autres temps, autres moeurs ? Pas si sûr...

Notes:

[1] Sérendipité. Contrairement à ce que prône J.-F. Kahn, je me plais à utiliser un mot rare et à courir le risque de ne pas être compris par certaines catégories de gens. Allez, pour cette fois, je vous aide : voici la définition qu’en donne le garde-mots.
Interview de J.-F. Kahn, Le Monde, 05.01.08 (page 1) : « Il faudrait donc appauvrir son vocabulaire et ses références ? J.-F. K : Oui, car beaucoup de gens de moins de 40 ans n’ont plus les références d’avant. Je reçois des lettres de lecteurs qui me disent qu’ils ne comprennent pas tout ce que j’écris. J’avais parlé du boulangisme, en référence au général Boulanger, ils pensaient que j’évoquais un pâtissier. J’ai écrit : “C’est une division du monde à la Yalta.” Mais qui sait encore ce qu’est Yalta ? Je suis catastrophé que les jeunes ne connaissent plus l’histoire, mais il faut bien en tenir compte. Les journalistes sont furieux qu’on leur dise cela. Mais on ne doit pas faire comme les marxistes qui décrivent la réalité comme ils voudraient qu’elle soit, il faut s’adapter à elle. »

Béat Brüsch, le 14 janvier 2008 à 16.25 h
Rubrique: A propos d’images
Mots-clés: dispositif , peoples , société
Commentaires: 0

Le Conseil fédéral se mèle au peuple, mais le peuple regarde ailleurs. Pour sa nouvelle photo officielle, le Conseil fédéral devient audacieux. Nous voici très loin des clichés de gouvernants posant gravement devant une bibliothèque et des drapeaux (suivez mon regard - lien hyperconceptuel ;-). Le concept de la photo officielle est traditionnellement de la responsabilité du nouveau président (cette fois, Monsieur Pascal Couchepin, élu pour une année). Comme je le montrais dans ce billet sur le même sujet, cela est l’occasion pour le président, d’imprimer sa marque. Ses attributions, il faut bien le reconnaître, ne vont guère au-delà de ce rôle de représentation. Mais, dans ce monde d’images et de communication tous azimuts, la représentation reste une donnée forte en politique.

Passer la souris sur l’image pour repérer les bonnes têtes ! De gauche à droite : la conseillère fédérale Eveline Widmer-Schlumpf, le conseiller fédéral Moritz Leuenberger, la conseillère fédérale Micheline Calmy-Rey, le Président de la Confédération Pascal Couchepin, le conseiller fédéral Samuel Schmid, la conseillère fédérale Doris Leuthard, le conseiller fédéral Hans-Rudolf Merz (vice-président), la chancelière de la Confédération Corina Casanova.
Cette image n’est pas le résultat d’une prise de vue spontanée dans un véritable bain de foule. Tout a été posé et mûrement réfléchi. Les auteurs, Béatrice Devènes et Dominic Büttner de l’agence Pixsil, nous présentent ici le making of de leur travail. On peut remarquer sur la photo que seuls les membres du Consei fédéral regardent l’objectif. Dans un premier temps, constatant le regard absent des figurants, j’ai cru être en présence d’un photomontage... On peut pourtant comprendre ce choix, en partant de l’idée qu’il fallait bien que les conseillers se distinguent un peu des autres personnages ! Mais on ne pourra pas s’empêcher de remarquer le regard fuyant de ces Suisses qui regardent ailleurs et ne se sentent pas concernés.
Ces quelques réserves faites, reconnaissons tout de même l’originalité de cette approche. Après l’éviction du loup de la bergerie, un vent d’audace soufflerait-il sur la politique suisse ? Espérons que cela ne soit pas qu’un effet d’image...


Addenda du 02.01.08 à 18.30h :

Interview de Béatrice Devènes, une des auteures de la photo, sur RSR>La 1ère>Médialogues le 02.01.08. Durée 11’53.

© CC - Radio Suisse Romande

Béat Brüsch, le 1er janvier 2008 à 14.40 h
Rubrique: A propos d’images
Mots-clés: dispositif , peoples , société
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Les grands classiques

Les images paisibles d’enfants heureux sont légion. Il en est malheureusement beaucoup d’autres, mettant en scène des enfants victimes des pires atrocités. Celle de Kim Phuc, la petite Vietnamienne de 9 ans, est probablement celle qui a le plus fortement et le plus durablement marqué les mémoires. Le 8 juin 1972, le photographe Nick Ut est sur la route menant au village de Tran Bang, tenu depuis 3 jours par les troupes du Nord-Vietnam et assiégé par les Sud-Vietnamiens. La plupart des habitants du village ont déjà fui les lieux et se tiennent sur la route, à quelques kilomètres, dans l’espoir de retourner chez eux après la fin des combats. Alors que tout indiquait qu’il n’y avait plus un Nord-Vietnamien dans le village, l’armée sud-vietnamienne décide néanmoins de bombarder le village au napalm. Sur la route, aux avant-postes, se tient une petite armada de soldats, de photographes, cameramen et autres journalistes, tous dans l’attente du « spectacle » annoncé... (Qui a vu le film Apocalypse Now peut effectivement parler de « spectacle », même si cette désignation est terriblement ambigüe - c’est d’ailleurs une des clés du film, mais je m’égare !)
Sitôt après l’attaque, ces témoins « privilégiés » voient s’échapper et courir vers eux des rescapés, pour la plupart grièvement brûlés. Kim Phuc, la petite fille, est nue car elle s’est débarrassée de ses vêtements en feu. Tous crient atrocement. Après avoir dépassé les témoins, ils s’arrêtent enfin. Certains tentent maladroitement de leur venir en aide. Nick Ut, parlant le vietnamien, est le seul journaliste à pouvoir communiquer avec eux. Avec son chauffeur, dans son minibus maintenant bondé, il transporte Kim et des membres de sa famille vers un hôpital – à une heure de route – et insistera personnellement auprès du personnel médical pour que la petite soit prise en charge. (En temps de guerre, les hôpitaux, débordés, privilégient les soins aux personnes qui ont le plus de chances de s’en sortir. Et Kim ne faisait sans doute pas partie de cette catégorie.) Dans cet article (en anglais), Nick Ut se souvient de cette journée...
Kim Phuc, après 14 mois de soins et 17 opérations chirurgicales, s’en est sorti. Elle vit maintenant au Canada avec ses 2 enfants. Elle a été nommée Ambassadrice de Bonne Volonté (Goodwill Ambassador) de l’UNESCO en 1997. Nick Ut n’avait jamais raconté qu’il avait sauvé cette petite fille. Ce n’est que 28 ans plus tard que Kim Phuc, devant la reine d’Angleterre, a rapporté qu’il lui avait sauvé la vie.
La photo ne paraitra que le 12 juin dans le New York Times. Sa parution ne fut pas retardée par des problèmes techniques (on disposait déjà de moyens de transmission, à l’époque). Cela peut nous paraître surréaliste aujourd’hui, mais de très vives discussions se sont engagées entre rédacteurs pour savoir si on avait le droit de publier la photo d’une personne nue ! Finalement, entrevoyant tout de même l’importance de cette photo, il fut décidé de la publier, non sans obtenir la garantie de ne pas en faire un agrandissement. Il paraîtrait même que l’on a flouté légèrement la région pubienne de la petite fille.
Cette image a eu un grand impact et a prétendument permis d’accélérer la fin de la guerre du Vietnam. Il faut relativiser son importance dans ce cadre, ne serait-ce que parce qu’elle arrive à un moment où la fin de la guerre est en vue. Mais sa très grande force iconique vient de sa propagation. Elle a été utilisée, récupérée et décontextualisée par d’innombrables mouvements idéologiques, politiques ou religieux. Et ceci, dans les projets éditoriaux les plus divers. (Dans ce registre, Le Cri d’Edward Munch, n’a qu’à bien se tenir !) Ronald N. Timberlake, est un vétéran de la guerre du Vietnam et s’insurge de certaines dérives dans un texte largement diffusé sur internet : The Myth Of The Girl In The Photo.
La photo en haut de ce billet représente le cadrage de sa parution dans le NY Times. Très forte, dramatique et bien centrée sur le sujet. Mais on peut trouver d’autres cadrages, ainsi que d’autres photos de la scène qui racontent autant d’autres histoires. Par exemple, si on élargit le cadre, on voit à droite un photographe. Il s’agit de David Burnett, qui un instant plus tard, a saisi cette image : D’autres images encore, font voir l’armada de journalistes dont je parlais plus haut et pourraient raconter l’histoire d’une petite fille qui serait victime de l’acharnement de la presse et de sa passivité face à ses souffrances. (C’est le statut des photographes de guerre qui est en question ici. N’ayant jamais entendu siffler une balle ailleurs qu’au cinéma, je me garderai bien de donner une quelconque leçon...) Gerhard Paul, nous parle de cela et de bien d’autres aspects de cette image dans un essai passionnant sur l’authenticité, l’icônisation et la surmédiatisation d’une image de la guerre. Dans son article (en allemand) vous trouverez également tout un appareil de références, ainsi que certaines images pour le moins étonnantes. Nick Ut (de son vrai nom Huynh Cong Ut) est né en 1951 au Vietnam. À 16 ans il entre à l’agence Associated Press. Son frère ainé, Huynh Thanh My, photographe chez AP aussi, vient d’être tué. Il réside et travaille aujourd’hui à Los Angeles, toujours pour Associated Press. Le Prix Pulitzer lui a été remis pour cette photo en 1973. Aujourd’hui, 35 ans plus tard, il est célébré pour la photo pipole d’une richissime bécasse délurée... Il faut bien vivre ! Je dis cela sans mépris pour le photographe, car je comprends bien qu’on ne puisse pratiquer la photo de guerre pendant toute une vie. Mais je ne peux m’empêcher de me demander... : le raccourci saisissant entre ces 2 photos, à 35 ans de distance, nous donnerait-il la mesure du changement de nos exigences en matière de photo de presse ? Je ne veux pas le croire...

Béat Brüsch, le 15 août 2007 à 18.30 h
Rubrique: Les grands classiques
Mots-clés: guerre , peoples , photographe , photojournalisme , éthique
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Tous les médias, et un bon nombre de blogs français ont parlé de la récente photo officielle du tout nouveau Président de la République. La Boite à Images et le blog Actualités de la recherche en histoire visuelle (vous ne pourriez pas trouver un nom plus commode ?) l’ont particulièrement assaisonnée. Et je suis bien d’accord avec eux ! J’ai voulu comparer l’incomparable : comment fait-on des photos officielles du gouvernement, ici, en Suisse ?

D’abord quelques différences (pour comprendre le contexte) :
- Ici, il n’y a pas de président vénéré au pouvoir central omnipotent. Il y a un gouvernement collégial appelé Conseil Fédéral. Il est composé de 7 ministres issus de différents bords politiques, élus par l’Assemblée Fédérale (la réunion des 2 chambres). Chaque année, à tour de rôle, un des ministres devient le Président de la Confédération. À cette occasion annuelle, les « 7 sages » sont formellement réélus. Cela ne facilite évidemment pas les relations diplomatiques : on a vu souvent des hommes d’état étrangers (dont Chirac) s’emmêler les pinceaux avec les noms des Présidents de la Confédération ;-)
- Le personnel politique n’est, en Suisse, pas entouré de la même pompe q’en France. On peut croiser un Conseiller Fédéral incognito dans une pizzeria sans qu’on aperçoive un quelconque garde du corps (peut-être sont-ils discrets ?) ou n’entende hurler une sirène. Il y a quelques années, on a pu voir, à l’aéroport de Genève, une trentaine de journalistes attendre l’arrivée de je ne sais plus quel ministre français (qu’il me pardonne) alors qu’aucun journaliste ne s’était aperçu que notre ministre des finances attendait de prendre un avion, tout seul dans la file avec les autres passagers.
- La Suisse n’a pas de tradition monarchique.
- ...et bien d’autres choses encore qui n’ont pas leur place dans ce modeste billet.
En Suisse, la photo officielle du gouvernement change chaque année. Et le moins qu’on puisse dire, c’est que depuis une dizaine d’années on cherche parfois à être original en tentant, avec plus ou moins de bonheur, de se distancer d’une certaine rigidité officielle. On ne nous dit pas qui élabore, chaque année, le « concept » de la photo. Mais à bien les regarder, on peut clairement y sentir « la patte » (la personnalité, le style, les valeurs) du président du moment.

Florilège subjectif des tendances récentes...

(l’intégralité de ce qui est disponible est à voir ici, dans les archives du Conseil Fédéral) :

2001

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Président : Moritz Leuenberger, socialiste, chef du Département fédéral de l’environnement, des transports, de l’énergie et de la communication.

D’emblée on est frappé par le côté « design-contemporain-strict-et-branché ». En rupture totale avec ce qu’on peut attendre d’une photo du gouvernement, je la trouve pourtant très réaliste et même égalitaire dans son dénuement. La dominante de noirs fait bien ressortir les visages. J’aime assez, mais je comprends que cela ne puisse pas plaire à tous ceux qui considèrent encore et toujours que le noir exprime la tristesse.

2005

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Président : Samuel Schmid, Union démocratique du Centre, chef du Département fédéral de la défense, de la protection de la population et des sports.

Ici, il faut expliquer ce que sont ces caissons blancs. Il s’agit d’un fleuron du design contemporain suisse : USM. Ces meubles modulaires sont combinables à l’infini, très solides, assez chers et d’une beauté simple et formelle qui leur permet de cohabiter avec bien des styles contemporains. Ils sont très prisés pour l’aménagement de locaux de bureau et de réception dans les professions libérales et surtout de l’administration. C’est donc en tant que mobilier symbolique de l’administration qu’il faut voir ces piédestaux. Par ailleurs, le traitement en bichromie est un astucieux moyen d’« égaliser » les personnages, en gommant certaines disparités de couleurs de peau, qui sont comme on le sait, souvent difficiles à maîtriser en photo couleurs.

2006

Président : Moritz Leuenberger, socialiste, chef du Département fédéral de l’environnement, des transports, de l’énergie et de la communication.

La croix suisse est un symbole graphique fort, qui a été utilisé à tort et à travers. Alors là... ouais, bof, pourquoi pas. Il y a 2 variantes de cette photo (à voir en passant la souris sur l’image) car cette année-là, un Conseiller s’est retiré et a été remplacé par une Conseillère. Remarquez en passant que pour la 2e photo, 2 femmes sur 3 ont opté pour la jupe.

2007

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Présidente : Micheline Calmy-Rey, socialiste, cheffe du Département fédéral des affaires étrangères.

Très dynamique, ce gouvernement en marche. De plus, c’est une façon futée d’éviter les poses, toujours un peu crispées. Avec un bon slogan, on en ferait presque une affiche électorale ! J’aime beaucoup ce cadrage dans lequel on « dévoile » l’astuce du panneau blanc de la prise de vue. Le panneau fait, évidemment, bien ressortir les personnages. Et derrière et au sol, on aperçoit le décorum du Palais Fédéral, qu’on a voulu évoquer comme pour montrer que derrière la modernité, il y a toute la tradition. (Bon, je viens de la voir dans un journal, recadrée/resserrée sur le blanc. Z’ont rien compris, au service image !) Moi je trouve que cette photo a la pêche (la photo, hein... pour le gouvernement, je suis plus réservé).

Sur le site du Conseil Fédéral, vous verrez les photos depuis 1993, ainsi que les pages perso des Conseillers Fédéraux. Je n’ai pas trouvé les noms des photographes, auteurs de ces photos, sauf pour la dernière (2007) qui est de Julie de Tribolet.
Remarque : les plus perspicaces auront compté huit personnes sur chaque photo. La 8me est la Chancelière de la Confédération.

Béat Brüsch, le 24 mai 2007 à 18.15 h
Rubrique: A propos d’images
Mots-clés: peoples , société
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