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Les métiers de la photo sont en crise et tous se cherchent de nouvelles conditions d’existence. La presse étant également en crise, on comprend bien que pour la photo de presse la situation soit particulièrement tendue. De nouvelles méthodes de travail sont peut-être à étudier et la mise au point de nouveaux modèles économiques est cruciale.

L’agence de presse Keystone a découvert le bon filon pour financer ses reportages sportifs : elle les vend aux sponsors commerciaux des sportifs. Keystone est le plus important fournisseur d’images à la presse suisse. 150 rédactions achètent tout ou partie de leurs images chez eux. En toute confiance. [1]

Le quotidien suisse La Liberté [2] nous apprend que, par l’intermédiaire de Photopress - sa filiale orientée relations publiques - Keystone propose aux grands sponsors, des reportages photo de manifestations sportives focalisés sur leurs marques. Le service est payant, mais il vaut le coup, car « A ce tarif, le client bénéficie d’une couverture professionnelle de l’événement et de dizaines de photos où l’on voit le sportif noyé au milieu des logos de la marque ». Rien de plus normal, dirons-nous, tant nous sommes habitués à voir des sportifs croulant sous les logos commerciaux. Ce qui l’est moins, c’est que ces photos se retrouvent ensuite mélangées dans le fil des photos de presse proposées par Keystone, sans aucune mention de leur caractère sponsorisé.

Les photographes, qui font proprement le boulot qu’on leur demande, se disent vexés, car ils ignorent de quelle façon leurs photos sont ensuite vendues. (Mais ils ne vont jamais voir sur le site de l’agence ?) Cette dérive est dommageable à toute la profession, car la déontologie a été un des axes souvent mis en avant pour défendre le photojournalisme. Et on ne prévoyait pas qu’un affairisme crasse vienne compliquer le boulot !

Pour Dominique von Burg, président du Conseil suisse de la presse : « Diffuser des images payées par les sponsors au moyen d’un canal d’information, c’est contrevenir à la déontologie du journaliste. Il n’est pas admissible qu’un texte ou une photo prévus pour un usage journalistique soient payés dans leur production et dans leur diffusion par un sponsor. » (Mais les rédacteurs photo qui choisissent ces images ne sont-ils pas frappés par des cadrages ou par l’utilisation de longues focales favorisant une omniprésence des marques de sponsors ?)

« Ce mélange des genres est dangereux pour la crédibilité des médias. Déjà, sur le marché chamboulé de l’information, les agences de communication remplacent peu à peu les journalistes. Reste la question : où s’arrêtera cette contagion de l’info-promo ? Si le sport en est la première victime, avec ses sportifs transformés en hommes-sandwichs qui vendent leurs sponsors devant les caméras, l’information économique ou politique pourrait très bien suivre. »

Interrogé ce matin par la Radio romande [3], Louis Ruffieux, rédacteur en chef de La Liberté, s’étonne qu’il n’ait à ce jour reçu aucune réaction à l’article. Gros malaise ou je-m’en-foutisme ?

Notes:

[1] Keystone jouit d’une situation de monopole dans la distribution d’images à la presse suisse. Elle est contrôlée en partie par l’ATS (Agence Télégraphique Suisse).

[2] Article de La Liberté, du 09.02.10 (accessible en archives payantes). Repris par la version papier du quotidien Le Courrier du même jour. Repris aussi et adapté par Rue89. Les citations entre guillemets sont tirées de l’article original de Sid Ahmed Hammouche, qui est aussi rédacteur photo de La Liberté.

[3] Émission Médialogues du 10.02.10 sur RSR1


Addenda du 10.02.2010:

Mis en cause dans cette affaire, les dirigeants de Keystone tentent de se justifier. Allesandro della Valle, responsable des photographes de l’agence est interviewé par la Radio romande. Les faits restent. Mais on en apprend un peu sur les pressions et chantages que subissent les photographes de presse de la part de firmes commerciales. RSR / Médialogues du 11.02.10 (à partir de 3:50)

Béat Brüsch, le 10 février 2010 à 11.16 h
Rubrique: A propos d’images
Mots-clés: banque d’image , photojournalisme , presse , publicité , éthique
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Les électeurs suisses ont donc accepté, avec 57,5% de oui, l’initiative [1] du parti nauséabond leur proposant d’interdire la construction de minarets en Suisse. La honte ! Le pays comptant pour l’heure 4 minarets en tout et pour tout, on sent bien que le problème est ailleurs. Le véritable enjeu de cette votation n’a leurré personne, ni les pour ni les contre. Bien que les initiants s’en défendent, les électeurs ont bien compris qu’il s’agissait de se prononcer sur des questions bien plus vastes, qu’il est difficile de formuler directement, car elles touchent à l’acceptation des musulmans, à leur intégration, à leur rejet. De ne pas objectiver ces questions, permet aussi de donner libre cours à tout un fatras d’idées fausses, de fantasmes et de pressentiments non résolus, enfouis au plus profond de la conscience du commun des mortels, bref de placer l’émotionnel bien au-dessus du raisonnable. Les stratèges du parti qui pue ont donc ressorti les habituelles et efficaces recettes basées sur de vieilles peurs, réchauffées par un radicalisme musulman dont on n’a pour l’instant pas vu le premier verset dans nos paisibles vallées.

Pour sa campagne, le parti qui schlingue a donc édité une affiche dont l’illustration représente des minarets qui, tels des missiles, transpercent un drapeau suisse. Au premier plan (en grand, ce qui montre bien que ce ne sont pas les minarets qui posent problème) on voit un personnage voilé. J’utilise à dessein le terme de personnage, car il est volontairement peu typé pour que le spectateur puisse l’investir de ses propres peurs : femme voilée, terroriste masqué, vague bédouin, etc. L’économie de couleurs n’est pas fortuite (le parti a largement les moyens de se payer une hexachromie avec dorure à la feuille en gaufrage, s’il le faut !). Les gros aplats noirs convoquent le mystère, la mort, la terreur, le rouge se chargeant du sang, mais aussi de la véhémence, de l’urgence. L’illustration touche au degré zéro de la métaphore. [2] Pas de second degré ici, il faut que tout le monde puisse comprendre en un quart de seconde.

Par calcul, avec une parfaite connaissance du comportement des médias et des responsables politiques, cette affiche a été voulue scandaleuse. La manoeuvre a fonctionné au-delà de toute attente. Très vite, dès qu’elle a été divulguée (et pas encore affichée) des protestations ont fusé de partout pour s’opposer à son affichage, alors que pour certains, également opposés à l’affiche, il fallait se montrer tolérant au nom de la liberté d’expression. Les initiants ne manquaient pas de se victimiser en jetant l’anathème contre ces bien-pensants qui réclament une censure. De nombreuses municipalités ont dû se déterminer pour ou contre cet affichage. On arriva même à des situations ubuesques quand une commune [3] interdisait l’affichage alors que les CFF [4], sous administration fédérale, l’autorisaient dans l’enceinte de la gare ! Ce bal a duré plusieurs semaines : pas un jour ne s’est écoulé sans que la presse écrite, parlée ou télévisée ne nous relate une nouvelle interdiction ou permission d’affichage et mette en scène des débats aussi vains que figés. Quel que soit son avis sur l’initiative, chacun a dû prendre position et défendre un point de vue sur l’affichage, assurant ainsi un buzz incroyable à l’initiative.

On a ainsi perdu beaucoup de temps en se cristallisant sur l’affiche et en n’abordant pas les questions de fond. Quand elle s’est réveillée, l’opposition à l’initiative a été faible et peu structurée. Tous les milieux politiques et les partis - à l’exception du parti qui fouette - sont opposés à l’initiative, mais peinent toujours à s’entendre et à se coordonner pour lutter efficacement contre un ennemi bien circonscrit et qui fait bloc. De plus, le monde politique s’est senti un peu trop sûr de lui, convaincu de détenir une vérité partagée par une bonne majorité des citoyens. Cette naïveté était confortée par les sondages [5], mais avec le temps, nos politiciens devraient commencer à savoir que sur des questions portant sur des sentiments peu avouables, les instituts de sondage ne sont pas fiables. (Et sur ce point, ce ne sont pas nos amis français, qui ont vu leur parti nauséabond passer au premier tour des présidentielles de 2002, qui nous contrediront.) En plus du naufrage de certains idéaux humanistes, ce dimanche marque aussi la grande défaite d’une classe politique naïve et dilettante. (J’entends en ce moment leurs propos lénifiants à la radio... il est foncièrement impossible pour un politicien de reconnaître une défaite.)

On peut remarquer que dans 2 cantons (Genève, Bâle-Ville) abritant une forte communauté de musulmans, l’initiative a été rejetée. Les petits cantons montagnards (de « Suisse primitive », terme officiel qu’on peut bien sûr interpréter à sa guise ;-) acceptent le plus massivement cette initiative, alors que la plupart de leurs habitants n’ont jamais vu un musulman ailleurs qu’à la TV. Étonnant, non ?

Notes:

[1] L’initiative n’est pas à confondre avec le référendum, comme on le fait le fait sur les ondes de France Inter !

[2] genre le marteau qui écrase les prix !

[3] Lausanne

[4] Chemins de Fer Fédéraux

[5] Le dernier sondage indiquait 37% de oui

Béat Brüsch, le 29 novembre 2009 à 19.27 h
Rubrique: A propos d’images
Mots-clés: affiche , médias , métaphore , publicité
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De-ci de-là apparaissent des paquets de cigarettes arborant des images de mise en garde sur les dangers du tabac. Je me suis souvent demandé quel était l’impact de ces images et leur efficacité dans la lutte contre le tabagisme. Ces images d’un réalisme souvent assez cru atteignent-elles leur but ? Et quel est ce but ?

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Extrait d’une affichette de l’OMS pour la Journée mondiale sans tabac 2009
© Design : Fabrica - Photo : P. Martinello & Prov. Colombie-Britannique

C’est à l’instigation de l’OMS (Organisation Mondiale de la Santé) que ces avertissements sont diffusés. L’OMS est à l’origine d’une Convention-cadre qui préconise de nombreuses mesures de lutte contre le tabagisme, dont les mises en garde sanitaires graphiques sur les paquets de cigarettes ne sont qu’un des aspects. Extrait (art 11) : « Beaucoup de gens dans le monde n’ont pas pleinement conscience du risque de morbidité et de mortalité prématurée qu’entraînent la consommation de tabac et l’exposition à la fumée du tabac, ou comprennent mal ou sous-estiment ce risque. Il a été démontré que la présence de mises en garde sanitaires et de messages bien conçus sur les conditionnements des produits du tabac est un moyen d’un bon rapport coût/efficacité pour sensibiliser le public aux dangers de la consommation de tabac et un moyen efficace pour réduire la consommation de tabac. » Cette convention est entrée en vigueur en 2005 et compte à ce jour 166 parties. Toutes ne l’ont pas encore ratifiée ou n’y adhèrent pas totalement. On peut même dire que beaucoup de pays trainent les pieds et ne sont pas prêts de se bouger. Mais certains, comme le Canada, n’ont pas attendu les directives de l’OMS et rendaient obligatoires les avertissements combinés texte/image dès l’an 2000. (voir liste des pays ci-dessous...)

Le principe de ces mises en garde sanitaires sur les emballages de produits du tabac est décrit dans des directives de la Convention-cadre (art.11). Elles doivent aider les parties à appliquer les dispositions qu’elles prennent. Toute une panoplie de modèles de messages est proposée, chaque pays se chargeant ensuite de les adapter à son contexte (ou d’en créer de nouveaux) et de mettre en place un appareil législatif pour pouvoir les imposer à l’industrie du tabac. La taille des avertissements (en pourcentage des surfaces) sur les paquets de cigarettes est spécifiée. Il est prévu un système de rotation des messages, car l’impact de messages trop souvent répétés s’atténue. Rappelons que ces surcharges de paquets de cigarettes ne sont qu’une partie d’un ensemble de mesures de lutte antitabac. Par exemple, il est recommandé de faire figurer sur ces messages un No d’appel pour obtenir de l’aide.

Comme on le constate en lisant ces diverses recommandations, l’OMS ou d’autres organisations qui mettent en oeuvre ces avertissements, n’a plus rien à apprendre sur le plan du marketing. Ces messages ne sont pas constitués que de textes ou que d’images, ils allient les deux, avec toute la force informative et expressive que peut produire cette interaction. Des images choquantes font partie du lot. Elles sont évidemment chargées d’une force intrinsèque, mais ne pourraient avoir leur véritable impact sans l’aide d’un texte, qu’il soit slogan ou légende. Avec l’aide des législations des pays participants, les avertissements sanitaires s’introduisent au sein des dispositifs de branding des cigarettiers, là où ça fait mal. Les cigarettiers n’apprécient pas du tout. (On peut les comprendre ;-) Une belle astuce est la quasi-gratuité de ces campagnes de mises en garde, puisqu’elles sont imprimées par les producteurs de cigarettes eux-mêmes ! (En fait de gratuité, nous savons tous que quelqu’un finit bien par payer ce qui semble gratuit !)

Beaucoup d’images présentent des éléments très concrets qui peuvent être choquants, en particulier quand il s’agit de dissections. Pour quelques-unes, il semble qu’on en a rajouté dans le détail et ce n’est peut-être pas une bonne idée, car on court alors le risque de s’éloigner du vraisemblable. Le phénomène est bien perceptible pour certaines régions du monde dont les mentalités sont peut-être façonnées par une violence quotidienne qui augmente le seuil de tolérance. À côté, les photos diffusées en Europe et en Amérique du Nord nous paraissent un peu timorées. (Peut-être s’agit-il de ménager certaines catégories professionnelles touchées par ces mesures ?) On trouve aussi des messages de prévention plus classiques avec des images très sages. Quelques métaphores apportent un clin d’oeil qu’on pourrait qualifier de réjouissant, n’était le danger qu’elles illustrent. Mais les métaphores sont à utiliser avec prudence lorsqu’on veut être sûr d’être bien compris par tout le monde. En Suisse, certains se sont émus d’une image représentant une cigarette dans une seringue... pourtant, le tabagisme est bien une addiction mortelle !

La Convention-cadre mentionne des extraits d’études « prouvant » l’efficacité de ces mesures. Elle recommande d’ailleurs à tous les pays contractants de réaliser des sondages réguliers pour mesurer l’impact des campagnes antitabac. Ceux-ci ne manquent pas de le faire et on se retrouve avec un nombre impressionnant de sondages, enquêtes, études et monitoring en tous genres, dont on extrait allègrement les chiffres-clés pour les présenter aux sceptiques. Je ne pense pas qu’on puisse dire que ces chiffres soient faux, mais face à des simplifications parfois outrancières, il est permis de douter qu’ils proviennent de véritables enquêtes conduites avec toute la rigueur nécessaire. Comme toujours, il convient d’interpréter les résultats de sondages avec circonspection : quelles sont les questions, comment et à qui sont-elles posées ?

J’ai voulu voir de plus près à quoi ressemblaient ces études. Une majorité d’entre elles ne sont pas disponibles sur internet (du moins, leurs hyperliens ne sont pas spécifiés). Il en reste cependant assez d’accessibles pour se sentir rapidement débordé, car ce sont des documents pouvant dépasser 200 pages ! Il ne m’est évidemment pas possible de toutes les visiter ;-) Mais j’ai la candeur d’être rassuré par cette profusion. J’ai tout de même fait quelques pointages et, au risque de tomber dans le travers de la simplification que j’évoquais plus haut, je ne vois pourtant pas d’autre moyen que de vous résumer les impressions que je retire de mes lectures...

Comme on peut s’y attendre, les pays produisant le plus d’études sont aussi ceux qui utilisent depuis le plus longtemps les techniques d’avertissements par images. Il s’agit du Canada et de l’Australie. Les études sont en général réalisées en entretiens et conduites sur la base de questionnaires auprès de divers segments de public, comprenant notamment, des fumeurs et des anciens fumeurs.

On peut résumer les buts de ces messages d’avertissement de la manière suivante :
• Informer ou augmenter la connaissance des risques liés à la consommation du tabac auprès des consommateurs.
• Encourager les décisions d’arrêter de fumer.
• Décourager la consommation de produits du tabac.

Ce sont ces mêmes points qui sont analysés dans la plupart des études :
• Le premier, qui porte sur de nombreux aspects de la perception de ces avertissements, ainsi que sur leur acceptance, obtient les chiffres les plus élevés et les plus probants. C’est aussi le plus facile à mesurer, car il se cantonne à un domaine assez bien circonscrit. Les images sont ressenties comme un élément prégnant, on se souvient d’un message grâce à l’image. Mais quelquefois, c’est l’image seule qui subsiste dans le souvenir. Étonnamment, le rejet des ces images n’est - et de loin - pas aussi massif qu’on peut le craindre en entendant les bruits de la rue. Peut-être s’agit-il d’un effet du sondage, les gens acceptant d’y répondre ayant déjà fait un chemin vers l’acceptance ?
• Pour les 2 points suivants, on comprendra qu’il est plus difficile de statuer d’une manière convaincante. Les décisions de ne pas/plus fumer sont presque toujours le résultat de nombreux facteurs convergents. Aucune étude n’a encore pu prouver qu’un fumeur a renoncé à fumer seulement parce qu’il a vu ces images. Ce serait trop simple et ce n’est pas le but recherché. Mais des chiffres encourageants indiquent que ces images comptent dans une telle prise de décision. Un bon résumé de ces études est à télécharger ici (.pdf - 2.1 Mo)

Je vous fais grâce des chiffres, ils sont variables d’une étude à l’autre et ne sont d’ailleurs pas comparables, car ils ne correspondent pas aux mêmes protocoles ou aux mêmes populations. (Les seules comparaisons possibles étant celles d’un même institut de recherche pour des époques diverses.) On peut donc dire, selon le Centre de ressources internationales, que « Les études montrent que des étiquettes de mise en garde graphiques de grande taille permettent de faire connaître davantage les risques associés au tabagisme et peuvent convaincre les fumeurs d’arrêter le tabac. » C’est toujours ça et c’est encourageant. Mais il n’y a pas unanimité...

Par exemple, cette étude canadienne [1] qui s’est penchée sur les réactions de personnes faiblement lettrées (low-literate). Le cadre de l’étude est pertinent, car ce groupe de personnes, ainsi que les analphabètes, fait justement partie des groupes visés par les avertissements combinés texte/image. Les résultats ne sont pas mirifiques. La compréhension élémentaire des messages s’avère souvent difficile. Les facultés cognitives limitées du groupe, ainsi que leur inculture provoque même le rejet de plusieurs messages, certains allant jusqu’à en contester la véracité. L’étude datant de 2003, on peut espérer qu’elle a servi à améliorer la qualité des messages, car - et cela, tous les sondages le montrent - le tabagisme atteint bien plus fortement les couches les plus défavorisées.

Ces paquets de cigarettes surchargés d’avertissement sanitaires nous interpellent aussi en tant que procédé d’information inédit. À ma connaissance, il s’agit d’un phénomène unique, jamais vu [2]. Imaginez un produit à consommer, en vente libre, dont la moitié de la surface de l’emballage vous dit qu’il est mortel ! Et vous l’achetez quand même ? Attendez, je me pince... il doit y avoir erreur... C’est l’effet d’addiction qui engendre ces comportements aberrants : on se voile la face, on regarde ailleurs, on trouve mille explications de mauvaise foi pour tenter de justifier une pratique déraisonnable. Dans tous les groupes de population, on constate une certaine incrédulité. Après tout, il n’y a pas si longtemps qu’on a pu démonter et rendre publics les divers mécanismes de bourrage de crâne de l’industrie du tabac et, parallèlement, de diffuser des résultats de recherches qui démontrent, avec une belle unanimité, la grande nocivité du tabac. Ces notions bousculent des croyances et des usages bien ancrés et mettent du temps à s’imposer auprès de personnes qui, à tort ou à raison, se méfient autant des journaux que de la bonne parole venue des gouvernements. Lue, cette réponse à un sondage : « Si tout cela était vrai, le gouvernement interdirait la vente de ce produit ».

Ces images feront-elles un tabac ? On l’a vu, beaucoup sont choquantes et c’est bien sûr voulu ! On prétend que chaque fumeur sait bien que fumer est dangereux. Mais il s’agit d’une vue de l’esprit qui ne prend pas en compte l’étendue et la sévérité des risques. Ces photos ont pour vertu de les « matérialiser » et de mettre les fumeurs devant des choix concrets. Leur brutalité est ici autant un moyen d’information que de persuasion, et dans cette optique, leur acceptabilité n’est pas un réel problème puisque le fumeur n’a pas d’autre choix.

La situation dans quelques pays :

• Suisse : en cours, jusqu’au plus tard au 1er janvier 2010 (depuis 2006 avertissements en texte seul)
• Europe : directives européennes dès 2001. Seuls la Belgique (2007) et le Royaume-Uni (2008) les ont mises en application.
• France : Quelques frémissements. Quand on voit le temps qu’à mis la loi Evin (1976) pour déployer tous ses effets, on peut avoir quelques soucis...
• Le Canada a été le premier pays à adopter des mises en garde illustrées en 2000 (bien avant la Convention-cadre)
• Au 31 mai 2009, 23 États représentant une population de près de 700 millions de personnes imposent l’obligation de faire figurer des mises en garde sanitaires explicites de grande dimension sur les emballages.
• Panorama international avec spécifications par pays : Physicians for a Smoke-Free Canada (colonne de gauche)

Images :

• Suisse : Ordonnance du DFI concernant les mises en garde combinées sur les produits du tabac (.pdf 4.5 Mo)
• France : avertissements combinés (.pdf 760 Ko)
• Europe : avertissements combinés avec détail par pays
• Canada : Santé Canada
• Monde : Tobacco Labelling Resource Center

Sources :

Convention-cadre de l’OMS pour la lutte antitabac - Présentation
• Convention-cadre de l’OMS pour la lutte antitabac - Article 11 -Directives relatives au conditionnement et à l’étiquetage des produits du tabac
Le site smoke-free publie (avec de nombreux hyperliens) une bonne liste d’études. Par exemple :
- Shanahan, P. and Elliott, D., 2009, Evaluation of the Effectiveness of the Graphic Health Warnings on Tobacco Product Packaging 2008, Australian Government Department of Health and Ageing, Canberra. (.pdf 1.7 Mo)
- Createc + Market Report. (2003). Effectiveness of Health Warning Messages on Cigarette Packages in Informing Less-literate Smokers. Health Canada (document Word ! - en anglais et un peu en français - à télécharger - 620 Ko)
Tobacco Labelling Resource Center : site très complet (Canada - en anglais)
Le site de Santé Canada propose des résumés de leurs sondages. Le dernier date de 2006. Les études détaillées peuvent être obtenues, sur demande, par... un formulaire en ligne ou par téléphone. C’est plutôt décourageant pour qui est habitué à l’immédiateté d’internet.
• Le Centre de ressources internationales est un centre d’information en ligne dont les ressources sont destinées aux défenseurs de la lutte antitabac du monde entier. Sur cette page on trouve quelques .pdf pertinents et utiles à qui veut en savoir plus sur les messages d’avertissement : argumentaires, preuves, exemples internationaux, etc. (Ces communications dégagent un fort parfum de marketing. Mais après tout, cela n’est qu’une réplique adaptée au camp adverse, qui lui, utilise à fond et depuis longtemps toutes les ressources du marketing.)
Le site du Monitorage sur le tabac suisse (TMS) qui publie des études annuelles très fouillées. Malheureusement, les études disponibles à ce jour ne portent que sur les messages d’avertissement textuels. (Normal, les messages combinés texte/illustration ne sont pas encore tout à fait obligatoires dans le pays !)

Avertissement : Il m’arrive d’être professionnellement impliqué dans la lutte contre le tabac. Néanmoins, dans ce blog je parle en mon nom et je prends comme postulat initial le fait que la fumée du tabac est un danger mortel contre lequel il convient de lutter. Je n’accepterai pas de commentaires basiques pour ou contre le tabagisme ou parlant d’autre chose que du sujet de ce billet.

Notes:

[1] Createc + Market Report. (2003). Effectiveness of Health Warning Messages on Cigarette Packages in Informing Less-literate Smokers. Health Canada (document Word ! - en anglais et un peu en français - à télécharger - 620 Ko)

[2] Je ne vois guère que les interruptions publicitaires au milieu des films qui puissent être aussi intrusives en se glissant dans le « produit » lui-même.

Béat Brüsch, le 5 octobre 2009 à 17.02 h
Rubrique: A propos d’images
Mots-clés: publicité , société
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La Suisse a voté hier. Dans le cadre des accords bilatéraux, 60% des votants ont accepté la reconduction de la libre circulation des personnes et son extension aux nouveaux membres de l’UE, la Roumanie et la Bulgarie. Ouf, ça a passé ! (En 2 mots pour ceux qui n’ont pas suivi : la Suisse n’est pas membre de l’UE, mais pour ne pas étouffer, elle a des accords bilatéraux avec ses voisins.)

Voici une vidéo qui a été diffusée pendant la campagne...

Oui je le confesse, je suis un incorrigible couche-tard et par conséquent, jamais à l’heure le matin. Mais tout de même, ils exagèrent... et d’ailleurs j’avais voté par correspondance ;-) De fait, cette vidéo a été adressée à de nombreuses personnes durant la campagne. Voici les explications par le présentateur TV que avez vu sur la vidéo :

RSR>La 1ère>Médialogues du 09.02.09. Durée 08’

© CC - Radio Suisse Romande

La malice et l’humour de cette campagne fait plaisir à voir à côté de la sinistre et injurieuse (pour les communautés visées) campagne de la droite nauséabonde.

Béat Brüsch, le 9 février 2009 à 15.20 h
Rubrique: A propos d’images
Mots-clés: publicité , société , vidéo
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La lutte contre le tabagisme est à l’ordre du jour en Suisse. On en discute ces jours au parlement fédéral. Plusieurs cantons voteront prochainement sur différentes initiatives et autres contre-projets. Le fédéralisme est compliqué et difficile quand, en l’absence d’une décision centrale forte, chaque canton est amené à légiférer dans son coin.
C’est toujours la fumée passive dans les cafés et restaurants qui pose problème. Dans le canton de Zürich, la Ligue pulmonaire (Lungenliga) dispose de 10 fois moins de moyens publicitaires que ses adversaires tabagistes pour sa campagne d’affichage. Comme souvent dans ce cas de figure, la tentation de se distinguer par la provoc est forte. La Ligue y a succombé, si on peut dire ! Les images des 3 affiches de sa campagne, elle est allée les chercher dans les archives des polices américaines. Elles représentent des victimes de la mafia tuées en plein repas, au restaurant, dans les années 1920 à 1930. Le slogan : « Le tabagisme passif tue aussi » Moi qui suis d’ordinaire le premier à me réjouir de ces transgressions publicitaires, j’ai cette fois l’impression qu’une ligne rouge a été franchie. Elle l’a été d’une part, dans le choix des images et d’autre part, dans la naïveté du message.
En ce qui concerne le choix des images, je ne me souviens pas qu’on ait « recyclé » en publicité des images d’actualités d’une telle violence. [1] Car enfin, il y a là des cadavres d’êtres humains clairement montrés et peu importe que ces morts soient ou non des crapules (on n’en sait d’ailleurs rien). On voit certes beaucoup de cadavres de nos jours, mais ils sont souvent fictifs et scénarisés (films, jeux vidéo). Les images de vrais cadavres sont visibles, quant à elles, au rayon du journalisme pour dénoncer des guerres ou d’autres formes de violences. Je ne me souviens pas non plus d’avoir vu de telles images utilisées sans qu’elles produisent du sens, ce qui aurait pu, d’une certaine façon, les « racheter » un peu. Je cherche vainement dans ces affiches une métaphore signifiante et je ne trouve qu’une violence brute sans identification possible avec la « subtile » et insinuante lenteur d’une mort due au tabagisme (passif ou actif, il y a peu de différence). Le message n’est absolument pas maitrisé par ses auteurs. Les morts de ces affiches sont les acteurs involontaires d’un amalgame interprétatif. Beaucoup comprendront que les fumeurs sont désignés ici comme des assassins aussi violents que conscients, ce qui est faux et le public le sait. Et on peut être sûr que beaucoup de citoyens assimileront confusément ces cadavres à ceux de « l’ennemi », le vilain fumeur. Dans les 2 cas le message sonne faux et mène au rejet de ces affiches et peut-être de la cause qu’elles défendent. Qu’en reste-t-il ? Une provoc pure et simple, gratuite, dont on ne peut prédire exactement le sort que lui réservera le Café du Commerce. La faiblesse des moyens financiers est-elle une raison suffisante pour courir ce risque ? À mon avis, si c’est pour asséner un message aussi confus, cela n’en vaut pas la peine.

Il est très fréquent, surtout chez les Anglo-saxons, que les organismes actifs dans la prévention sociale (accidents, santé, drogues, etc) utilisent des images ou des scénarios très durs pour impressionner le public. [2] Mais ces messages sont toujours très construits et parfaitement scénarisés. Bien qu’elle agisse souvent comme un amplificateur du propos, leur violence n’est pas gratuite, elle fait partie d’un système narratif dont la logique ne laisse que peu de marge interprétative au spectateur.

À voir ici, la description d’un bel exemple de ce qu’on peut faire en utilisant des images d’actualités de manière provocante (UNHCR). Plus d’images sur cette campagne ici. Revoir aussi sur Mots d’images, la campagne d’Amnesty International et celle de l’Union Syndicale Suisse. Présentation de la campagne sur le site de la Ligue pulmonaire. Article de Swissinfo sur cette campagne.

Avertissement : Je suis professionnellement impliqué dans la lutte contre le tabac. Dans ce billet j’ai essayé de rester neutre en ne parlant que d’images. Dans la même logique, je n’accepterai pas de commentaires partisans ou qui parleraient d’autres choses que du sujet de ce billet.

Notes:

[1] On pense évidemment à Olivero Toscani pour Benetton. Mais son cas est assez différent en ce qu’il réalisait ses propres photos et parce que son discours se situait à un autre niveau que celui d’une publicité directe pour le produit.

[2] Ces campagnes sont souvent réalisées gratuitement par des agences de publicité qui « se lâchent » pour montrer qu’elles valent mieux que l’idée qu’on s’en fait à travers la promotion de poudres à lessive ou de yaourt minceur ;-)


Addenda du 17.09.2008:

Dans le canton de Zürich, l’initiative vantée par ces affiches - interdisant de fumer dans tous les bistrots, sauf dans des fumoirs séparés, non desservis et dotés d’une ventilation propre - a été acceptée à 56.58 %. Le contre-projet du parlement et du gouvernement - plus laxiste - a obtenu 49.55 %.
L’histoire ne dira jamais le rôle exact qu’ont pu jouer ces affiches dans ce scrutin...

Béat Brüsch, le 17 septembre 2008 à 23.45 h
Rubrique: A propos d’images
Mots-clés: affiche , publicité , société , éthique
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