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Les grands classiques

À l’occasion de l’exposition Philippe Halsman au Musée de l’Élysée, je « remonte » ce billet datant du 29 août 2009. L’exposition a lieu du 29 janvier au 11 mai 2014. Elle sera au Musée du jeu de Paume de Paris l’année prochaine, puis à Rotterdam, Madrid, Barcelone…

La plupart des liens d’origine sont cassés - ce qui en dit long sur la pérennité des sites internet ! - et je n’ai pu en remplacer que deux.


En 1948, au lendemain d’une guerre qui a vu l’émergence de l’ère atomique, Philippe Halsmann et Salvador Dali sont impressionnés par les « nouvelles » lois de la physique. Leur imaginaire est excité par les hypothèses les plus prodigieuses de la science. On parle d’antigravitation, d’antimatière... Ils essaient de visualiser ces folles perspectives : tout doit être en suspension, comme dans un atome ! Ils travaillent ensemble à l’élaboration de divers concepts avec des objets en lévitation. Dali, de son côté, poursuit la réalisation de Leda Atomica, une toile que l’on voit (non achevée) à la droite de la photo et dans laquelle presque tous les éléments sont aussi en lévitation. Ce n’est, bien sûr, pas la seule caractéristique de ce tableau, mais c’est celle qui nous intéresse ici. (Lien cassé. Voir ici pour un texte et là pour une image)

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Influencés par la célèbre photo de Harold Edgerton montrant, en instantané, des gouttes de lait en suspension (lien remplacé), ils pensent d’abord réaliser leur image en utilisant du lait. Mais ils choisissent de le faire avec de l’eau pour ne pas choquer les Européens qui sortent d’une dure époque de privations. (Chaque époque a ses tabous. Aujourd’hui, la provocation étant devenue un mode de promotion très recherché, on n’aurait sans doute pas hésité.) La séance de prises de vues a fait les beaux jours des collectionneurs d’anecdotes. La chaise de gauche est tenue en l’air par l’épouse de Halsman. On compte jusqu’à trois : les assistants lancent 3 chats et un seau d’eau. À quatre, Dali saute en l’air et Halsmann déclenche. Pendant que tout le monde récure le sol et console les chats, le photographe développe le film pour voir le résultat. Au bout de 6 heures et 28 essais, la photo est bonne ! Très vite elle parait sur une double page de Life et fait sensation.
En réalisant par la photo, un concept qui aurait tout aussi bien pu être peint (par un virtuose comme Dali !), c’est un peu le réalisme qui s’invite à la table du surréalisme ;-) Mais c’est justement cela qui fait la force de cette oeuvre. On joue avec notre perception de la matérialité en nous montrant des faits extraordinaires traités comme des situations avérées. Et je ne peux m’empêcher de me demander si aujourd’hui on aurait procédé de même pour réaliser cette image...? Quel photographe se donnerait tant de mal pour un résultat aussi aléatoire ? Alors qu’en assemblant différentes prises de vues, on obtiendrait un résultat tout aussi bon, avec de meilleures chances de succès. D’ailleurs, la première fois que j’ai vu cette photo (c’était bien avant Photoshop), je n’arrivais pas à croire qu’elle était le résultat d’une seule prise de vue, sans montage. J’entends d’ici, hurler les puristes, pensant que la photo est comme un jeu de tir à l’arc et qu’il suffit de déclencher au bon moment pour saisir « l’instant magique » et produire une bonne image.
Tout en ruminant mes considérations un peu malveillantes, j’ai été attiré par quelques détails troublants... Dali est devant un chevalet de peintre. Il y a une toile sur le chevalet (encadrée : drôle de façon de peindre !). Si on examine l’ombre située au-dessous, on voit bien celle de Dali qui se confond avec celle du pied du chevalet. Mais on voit aussi très clairement, à la place de la toile, un cadre vide, au travers duquel passe la lumière. On distingue même le montant central du chevalet, sur lequel vient normalement s’appuyer la toile en chantier. On devine aussi ce montant derrière le rideau d’eau. Alors... la toile a-t-elle été ajoutée après coup ? A la recherche des conditions de copyright de cette image sur le site de la Library of Congress, je suis tombé sur la photo originale... que je vous laisse découvrir pour jouer au jeu des 7 erreurs.

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Philippe Halsman est né en 1906 à Riga (Lettonie). Il fut d’abord ingénieur électricien. En 1931, il s’installe à Paris et devient photographe. Ses premières photos paraissent dans Vogue. Il devient un portraitiste à la renommée grandissante. Au moment de la guerre, il obtient un visa pour les États-Unis et s’installe à New York. Il réalisa 101 photos de couverture pour Life et bien d’autres encore pour Look, Paris-Match ou Stern. Ses portraits d’Einstein, de Groucho Marx, de John F. Kennedy, de Winston Churchill, de Marilyn Monroe et de bien d’autres célébrités sont dans toutes les mémoires. Après ses expériences avec Dali, il devint aussi un spécialiste de « jumpology », sport qui consistait à demander aux personnes photographiées de sauter en l’air. Selon lui, cela faisait « tomber le masque et révélait la personne » (trad. libre).
Pour rédiger ce billet, je me suis inspiré, en plus des liens accessibles directement depuis le texte, des sources suivantes :
- Philippe Halsman : Dali Atomicus - by : Brandon Luhring (Lien cassé)
- When He Said "Jump..." - Philippe Halsman defied gravitas (Lien cassé) - by Owen Edwards (à voir : un petit diaporama avec des photos de Jump)
- Dossier réalisé pour l’exposition rétrospective de Philippe Halsman par la National Portrait Gallery (plusieurs pages, dont une galerie de photos)

Béat Brüsch, le 29 janvier 2014 à 23.15 h
Rubrique: Les grands classiques
Mots-clés: photographe , retouche
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