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mot clé «photojournalisme»

Une nouvelle fois, une photo de presse retouchée fait débat. Cette fois, l’histoire est exemplaire, car elle met parfaitement en lumière certaines contradictions dans les usages et l’appréciation de la photo à l’ère numérique.

Le jury du WorldPressPhoto disqualifie après coup le photographe Stepan Rudik, lauréat d’un 3e prix au récent palmarès. Il est apparu au jury que le photographe avait effacé un élément sur une de ses photos. Le règlement du concours précise que « Le contenu de l’image ne doit pas être altéré. Seule une retouche conforme aux standards couramment acceptés dans la profession est acceptée. » [1] Signalée par Sébastien Dupuy, reprise par André Gunthert, l’affaire fait grand bruit sur le blog PetaPixel, si l’on en juge par le nombre de commentaires et des positions tranchées qu’ils révèlent.

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La photo originale
© Stepan Rudik
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La photo primée puis disqualifiée
© Stepan Rudik

La retouche (le bout de pied flou d’un personnage à l’arrière-plan, derrière la main bandée) qui lui vaut sa condamnation est infime et concourt à une meilleure lisibilité du sujet, alors que les autres traitements appliqués à l’image, qui ont un effet bien plus décisif sur son expression, seraient tolérés. L’image de départ est en couleurs, un peu floue, cadrée large et à la va-vite. Pas sûr qu’elle figurerait dans un livre de souvenirs, tellement elle est banale. Qu’à cela ne tienne, on va la rendre intéressante... Un recadrage conséquent, un traitement en noir/blanc avec un grainage « garanti argentique » et un gros coup de vignettage bien charbonneux va transformer cette photo en un document dramatique, digne des terrains de conflits les plus cruels. Ce photographe est un artiste, il a transformé un petit bobo d’un dimanche après-midi de castagne en une méchante blessure qui vaudra sûrement une médaille de guerre à sa valeureuse victime ainsi que le prix Pulitzer à son auteur ! Je me pince, tout cela est parfaitement toléré ! Alors que la suppression d’un petit élément qui n’apporte strictement rien sauf à parasiter la lecture de l’image, n’est pas admise ! On marche vraiment sur la tête.

La décision du jury illustre bien le désarroi d’une profession (et d’une partie du public) qui s’accroche à des repères d’un autre temps. On constate cela dans de nombreux domaines où l’informatique, les réseaux et les flux de données remettent en question bien des modèles ! À l’heure où les logiciels de traitement d’images autorisent une si grande maitrise de leur apparence, on ne peut plus fixer des règles du jeu basées sur un état de la technique (et des croyances) totalement dépassé. En recadrant, le photographe a supprimé de l’image plusieurs personnes, cela n’est pas grave, mais on le sanctionne au prétexte qu’il a effacé un morceau de pied (d’ailleurs flou et difficilement identifiable). Pourquoi accepter des recadrages qui peuvent fortement modifier cette « vérité » dont se targuent les fondamentalistes ? Et pourquoi diaboliser une petite retouche qui n’attente en rien à cette prétendue « vérité » ? Dans un commentaire à son billet, André Gunthert pense que c’est « ...l’ensemble des altérations qui a motivé la disqualification » et que la retouche, s’appuyant sur un article clair du règlement, n’a été évoquée que parce qu’elle permettait d’éviter d’argumenter un débat bien plus compliqué autour des autres traitements apportés à l’image. Il a probablement raison, mais cela ne change rien au fond. Outre le manque de courage du jury, cela montre, une fois de plus, que le débat sur les vieilles croyances autour du statut de vérité des images photographiques n’est pas prêt d’être abordé.

La posture intégriste du jury fait peu de cas de l’éthique dont doit pouvoir se targuer un photographe de presse. Telle la présomption d’innocence, l’honnêteté du photographe de presse ne devrait-elle pas être une disposition préalable ? J’ai déjà eu l’occasion de m’offusquer de cette pratique inquisitoriale consistant, de la part d’un jury, à réclamer les fichiers RAW d’une photo, afin de contrôler l’intégrité de l’image livrée. Mais de qui se moque-t-on ? A l’image du web, qui n’est bien sûr qu’un repaire de « pédophiles-nazis-maffieux », verra-t-on bientôt le discrédit jeté sur tout photographe usant d’un logiciel de traitement d’images ? Va-t-on obliger les photographes de presse à réaliser leurs photos uniquement avec un appareil agréé, dûment plombé par un technicien assermenté et dont les photos ne pourront être recueillies que sous contrôle notarial ?

Dans les critiques aux photos de presse, on reproche souvent leur esthétisation. C’est mal, l’esthétique ? Ne confond-on pas quelques fois l’esthétique avec la clarté ou la lisibilité d’une image ? Certains pensent qu’une prise de vue n’est que le scan d’une vérité visuelle à un instant donné. Ceux qui s’imaginent qu’il suffit de viser et presser sur le déclencheur pour rendre compte d’une vision objective n’ont probablement jamais réalisé une image digne de ce nom. Une image, cela se travaille. Avant la prise de vue, pendant et après. Pour beaucoup, c’est l’« après » qui pose problème. Les (vrais !) photographes sont des auteurs. Cet « après » est pour eux une phase de réflexion permettant de préciser des intentions, de souligner ce qu’ils ont ressenti et qu’ils voudraient montrer. Reproche-t-on à un auteur de texte de choisir ses mots ? Lui demande-t-on de ne pas se relire ?

Sous diverses pressions (commerciales, disponibilité des techniques, soucis de perfection, besoin de reconnaissance de leurs auteurs, etc) les photographies sont en train de changer de statut. Elles ressortissent de plus en plus du domaine de l’illustration - anathème suprême, pour certains ! Ce sont probablement les mêmes qui voudraient que les journalistes ne relatent que des faits, « objectivement », sans donner dans le commentaire et sans laisser apparaitre leur conscience.

Je précise que j’apprécie peu les traitements spécifiques que Stepan Rudik a fait subir à ses photos pour les rendre « intéressantes », mais je me battrai pour qu’il puisse continuer à le faire. (Oui, c’est une citation détournée ;-)

Notes:

[1] « The content of the image must not be altered. Only retouching which conforms to the currently accepted standards in the industry is allowed. »

Béat Brüsch, le 7 mars 2010 à 19.10 h
Rubrique: A propos d’images
Mots-clés: WorldPressPhoto , photojournalisme , retouche , éthique
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Mon billet consacré à la petite fille brûlée au napalm vient de dépasser les 10’000 consultations. Il figure largement en tête de la fréquentation de ce blog. (Les suivants n’affichent que 6900 et 3900 consultations). Le reportage qu’Arte a consacré à cette photo [1], il y a quelques jours, a donné un petit coup d’accélérateur : 500 consultations le jour de l’émission et environ 500 autres dans les jours qui ont suivi. Ce billet a été publié pour la première fois le 15 août 2007 sur l’ancienne formule de ce blog (qui ne disposait pas de statistiques aussi détaillées que celles que fournit Spip et qui n’entre donc pas dans ces calculs). Depuis le passage à la formule actuelle du blog (septembre 2008) il ne se passe pas un seul jour sans que le billet soit consulté plusieurs fois. [2] La très grande majorité des visiteurs provient de Google. [3] Loin derrière, on trouve quelques autres moteurs ou index. Parfois, quelques blogs et forums renvoient également au billet.

De ces données on peut rapidement déduire que la quasi-totalité des lecteurs de ce billet est constituée de visiteurs occasionnels (qui ne connaissent donc pas ce blog). Qui sont ces lecteurs et qu’est-ce qui les motive ? Pourquoi ont-ils soudainement l’idée de rechercher ce sujet dans Google ? Cette image est-elle tellement incrustée dans la culture collective pour qu’on ait spontanément envie d’en savoir plus ? Les entrants ont-ils entendu parler de cette image, par la presse, par des sites internet, par leurs amis ?

Il est certes établi depuis longtemps qu’il s’agit ici d’une des icônes les plus connues de la barbarie et des souffrances que les guerres modernes engendrent envers les civils. L’image de la douleur d’un enfant, symbole de pureté et d’innocence, ne peut qu’apitoyer le spectateur et déclencher les plus vives réactions. La sympathie naturelle que suscitent les enfants se transforme en une intense empathie lorsqu’ils sont victimes de souffrances. Pour beaucoup, cela représente la dernière des cruautés (il n’est qu’à voir les réactions ulcérées en présence de crimes sur des enfants). Ici, la nudité de la fillette, vue autant comme une atteinte à sa pudeur que comme un dénuement extrême, en rajoute au registre de l’effroi. Dès sa publication, l’image a fait grand bruit. Dans une période où la guerre du Vietnam - de plus en plus contestée - faisait continuellement la une des médias, elle a marqué les esprits au point d’obtenir rapidement son statut d’icône. La personnification ultérieure de la victime - qui s’en est sortie et mène une vie publique marquée par sa pénible expérience - compte sûrement dans la persistance de cette icône.

Il est difficile de caractériser le public intéressé par cette image. Si cette icône est aussi marquante, c’est moins parce que les valeurs qu’elle défend sont partagées par la plupart des gens, que parce que ce qu’elle montre est ressenti comme insoutenable par tout un chacun. Dès lors, tout le monde est susceptible de chercher des références sur cette image. Il suffit d’avoir une connexion internet. (Et du coup, mon questionnement est un peu vain ;-) Je ne suis pas pour un internet fouineur - comme il s’en profile dans certaines démocraties tout près d’ici - mais je ne peux m’empêcher de « remonter » vers quelques sources, lorsqu’elles s’affichent de manière transparente (referers). Pour ce que je peux voir (je n’ai aucune compétence de hacker) il y a effectivement une grande diversité de personnes s’intéressant au sujet. Tout au plus, ai-je noté que le sujet émouvait souvent un public de jeunes filles ingénues, découvrant avec écoeurement les cruautés du monde, ainsi que le « voyeurisme » et l’« insensibilité » des photographes de presse.

On peut remarquer qu’il n’y a aucun commentaire sur ce billet (ils sont maintenant fermés, mais ils sont restés ouverts pendant très longtemps). D’après les analystes qui constatent globalement qu’entre 1% et 1‰ de visiteurs laissent un commentaire, il devrait y en avoir entre 10 et 100 ! Ces visiteurs peu actifs ne sont sûrement pas des habitués des blogs ou, plus largement, des débats. Ils ne s’intéressent pas outre mesure à la photo (le principal sujet de ce blog), mais à un sujet figurant sur une photo, ce qui n’est pas tout à fait la même chose. (S’ils s’intéressaient à la photo, ils reviendraient peut-être, mais ce n’est pas ce que je constate.)

Pour tenter d’y voir plus clair, essayons de comprendre les données, objectives (?), fournies par les mots-clés que saisissent les visiteurs sur Google. En tête des demandes viennent Nick Ut et Kim Phuc (2e et 3e rang de la page de résultats). Cela pourrait dénoter que les visiteurs qui accèdent le plus au billet sont déjà des « connaisseurs » puisqu’ils savent les noms des protagonistes (dans un idiome peu familier, de surcroit). Mais cet effet est trompeur, car ce sont des noms propres. On peut les considérer, du point de vue d’un moteur de recherche, comme exclusifs. S’ils sont saisis correctement ils mènent au but sans histoires. Il n’en va pas de même pour tout un groupe de mots qui peuvent être permutés, réarrangés et réassortis pour obtenir un bon résultat. Ainsi, les ensembles... petite fille nue napalm, fille nue napalm, petite fille napalm, fille napalm, nue napalm, kim phuc napalm, nick ut napalm, etc... sont tous classés au premier rang de la page de résultats de Google. Ensemble, ils constituent la grande majorité des requêtes qui aboutissent. On peut remarquer que napalm en fait toujours partie, mais utilisé seul, il ne mène au billet qu’à la 3e page de résultats. Petite fille ou petite fille nue ne mènent à rien de ce que nous recherchons (on s’en doutait). En ajoutant d’autres mots tels que guerre, Vietnam, photo, brûlée, on arrive à de nombreux autres arrangements qui tous donnent un résultat dans les premiers rangs de la page. Google ne nous en apprend donc pas beaucoup sur les motivations des visiteurs tant les mots-clés utilisés sont banals et tombent sous le sens. Tout au plus, pourrait-on dire que Google fait bien son boulot, mais ce n’était pas le but de ce billet ;-) Il faut toutefois tempérer cette appréciation en considérant que les résultats actuels sur Google ne donnent pas un aperçu des plus utiles, car ils sont fortement mobilisés par le documentaire d’Arte, dont de nombreux sites signalent simplement le passage, sans apporter aucune autre information pertinente. Cela met en lumière un défaut du système de référencement de Google : le classement des résultats n’est pas forcément représentatif de la pertinence des contenus. Des sites, ayant de façon générale, un bon ranking, reprenant tous ensemble le même communiqué de presse sont capables de polluer des pages entières de résultats. Il faut ensuite beaucoup de temps pour constater une décantation.

Pour reprendre la thématique des images iconiques ou des images d’enfants victimes de la guerre, on peut relire ces articles :
Edgar Roskis : Intifada pour une vraie paix - Images en boucle (Le Monde Diplomatique)
André Gunthert, sur son ancien blog :
- Le nom de la rose
- Insoutenable : la guerre ou son image ?

Signalons 2 sources importantes (déjà mobilisées sur mon billet original) concernant l’image de la petite fille au Napalm :
Horst Faas [4] and Marianne Fulton - The survivor - Phan Thi Kim Phuc and the photographer Nick Ut (in english)
Gerhard Paul - Die Geschichte hinter dem Foto - Authentizität, Ikonisierung und Überschreibung eines Bildes aus dem Vietnamkrieg (auf Deutsch)

Notes:

[1] Docu dilué sur près d’une heure - alors que le contenu véritable tiendrait sur une feuille A4 - où on n’apprend aucune chose qu’on ne savait déjà et où on assiste surtout à un cabotinage du photographe qui frise l’indignité.

[2] Environ 19 visites par jour, en moyenne, depuis la nouvelle mouture du site.

[3] Tests effectués les 21 et 22.02.10 sur Google (fr).

[4] Responsable photo du bureau d’AP au Vietnam qui a pris sur lui de publier la photo.

Béat Brüsch, le 23 février 2010 à 23.31 h
Rubrique: A propos d’images
Mots-clés: blogosphère , guerre , photojournalisme , éthique
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Le World Press Photo a décerné ses médailles annuelles. L’image de l’année, que vous avez vue en petit dans vos journaux préférés - pour ceux qui en lisent encore ! - n’a pas déchainé les passions. Elle a été souvent signalée par une note polie, qui semble plus dictée par une déférence consensuelle envers le sujet de l’image, que par ses qualités réelles. La photo de Pietro Masturzo représente trois femmes qui crient leur révolte sur les toits dans la nuit de Téhéran. On voit surtout le paysage urbain et l’ambiance crépusculaire un peu feutrée par le halo noir tout autour de l’image. Ce n’est qu’en scrutant qu’on distingue ces trois femmes. Si la photo est assez grande, on peut noter que l’une d’entre elles tient ses mains en porte-voix. C’est tout. On peut parler ici d’une photo « intellectuelle », car sans sa légende et sans un minimum de connaissances du contexte de la crise iranienne, on ne peut pas voir ce que cette image nous dit. Il est assez inhabituel que les protagonistes d’une image d’actualité soient représentés aussi petits dans leur décor. Sans jouer sur les mots, il faut reconnaitre qu’ici, cela apporte une certaine dimension, un espace où raisonnent les cris de révolte. (Il faut reconnaitre aussi que des téléobjectifs permettant d’opérer dans de si sombres conditions n’existent pas encore :-)

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Clic pour agrandir

© Pietro Masturzo

Bien qu’elle s’inscrive dans un contexte dramatique, l’image est douce. Ce n’est pas ce qu’on attend habituellement d’une photo de presse. Qu’un concours aussi prestigieux que le WPP récompense une photo exigeant un peu de recul, d’imagination et de contextualisation est bienvenu, car les journaux, qui courent après leur rentabilité, n’ont pas forcément le courage (ou l’opportunité) de le faire. Mais que ceux qui, suite à ce grand prix, craignent un certain alanguissement de la photo de presse se rassurent. Ils trouveront, en consultant les diaporamas visibles sur le site du WPP, un lot d’atrocités particulièrement sanglant avec quelques images insoutenables. (Nous savons tous ce qu’est un lynchage. D’en voir les photos est une expérience vraiment éprouvante.) On en oublierait presque qu’il y a aussi dans cette livrée, de belles séries très lumineuses qui redonnent de l’espoir.

Presque confidentiellement, le WPP récompense pour la première fois, une image d’amateur. C’est aussi l’Iran qui en est le théâtre, avec une photo à prétention iconique, tirée de la vidéo de la mort de Neda. Cela n’a pas échappé à Fanny Lautissier qui en parle sur son blog Photogrammes.

À lire aussi : les piquantes digressions, à propos du World Press Photo, de Hamideddine Bouali sur son Blog du Photographique.

Béat Brüsch, le 16 février 2010 à 01.00 h
Rubrique: A propos d’images
Mots-clés: WorldPressPhoto , photojournalisme
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Les métiers de la photo sont en crise et tous se cherchent de nouvelles conditions d’existence. La presse étant également en crise, on comprend bien que pour la photo de presse la situation soit particulièrement tendue. De nouvelles méthodes de travail sont peut-être à étudier et la mise au point de nouveaux modèles économiques est cruciale.

L’agence de presse Keystone a découvert le bon filon pour financer ses reportages sportifs : elle les vend aux sponsors commerciaux des sportifs. Keystone est le plus important fournisseur d’images à la presse suisse. 150 rédactions achètent tout ou partie de leurs images chez eux. En toute confiance. [1]

Le quotidien suisse La Liberté [2] nous apprend que, par l’intermédiaire de Photopress - sa filiale orientée relations publiques - Keystone propose aux grands sponsors, des reportages photo de manifestations sportives focalisés sur leurs marques. Le service est payant, mais il vaut le coup, car « A ce tarif, le client bénéficie d’une couverture professionnelle de l’événement et de dizaines de photos où l’on voit le sportif noyé au milieu des logos de la marque ». Rien de plus normal, dirons-nous, tant nous sommes habitués à voir des sportifs croulant sous les logos commerciaux. Ce qui l’est moins, c’est que ces photos se retrouvent ensuite mélangées dans le fil des photos de presse proposées par Keystone, sans aucune mention de leur caractère sponsorisé.

Les photographes, qui font proprement le boulot qu’on leur demande, se disent vexés, car ils ignorent de quelle façon leurs photos sont ensuite vendues. (Mais ils ne vont jamais voir sur le site de l’agence ?) Cette dérive est dommageable à toute la profession, car la déontologie a été un des axes souvent mis en avant pour défendre le photojournalisme. Et on ne prévoyait pas qu’un affairisme crasse vienne compliquer le boulot !

Pour Dominique von Burg, président du Conseil suisse de la presse : « Diffuser des images payées par les sponsors au moyen d’un canal d’information, c’est contrevenir à la déontologie du journaliste. Il n’est pas admissible qu’un texte ou une photo prévus pour un usage journalistique soient payés dans leur production et dans leur diffusion par un sponsor. » (Mais les rédacteurs photo qui choisissent ces images ne sont-ils pas frappés par des cadrages ou par l’utilisation de longues focales favorisant une omniprésence des marques de sponsors ?)

« Ce mélange des genres est dangereux pour la crédibilité des médias. Déjà, sur le marché chamboulé de l’information, les agences de communication remplacent peu à peu les journalistes. Reste la question : où s’arrêtera cette contagion de l’info-promo ? Si le sport en est la première victime, avec ses sportifs transformés en hommes-sandwichs qui vendent leurs sponsors devant les caméras, l’information économique ou politique pourrait très bien suivre. »

Interrogé ce matin par la Radio romande [3], Louis Ruffieux, rédacteur en chef de La Liberté, s’étonne qu’il n’ait à ce jour reçu aucune réaction à l’article. Gros malaise ou je-m’en-foutisme ?

Notes:

[1] Keystone jouit d’une situation de monopole dans la distribution d’images à la presse suisse. Elle est contrôlée en partie par l’ATS (Agence Télégraphique Suisse).

[2] Article de La Liberté, du 09.02.10 (accessible en archives payantes). Repris par la version papier du quotidien Le Courrier du même jour. Repris aussi et adapté par Rue89. Les citations entre guillemets sont tirées de l’article original de Sid Ahmed Hammouche, qui est aussi rédacteur photo de La Liberté.

[3] Émission Médialogues du 10.02.10 sur RSR1


Addenda du 10.02.2010:

Mis en cause dans cette affaire, les dirigeants de Keystone tentent de se justifier. Allesandro della Valle, responsable des photographes de l’agence est interviewé par la Radio romande. Les faits restent. Mais on en apprend un peu sur les pressions et chantages que subissent les photographes de presse de la part de firmes commerciales. RSR / Médialogues du 11.02.10 (à partir de 3:50)

Béat Brüsch, le 10 février 2010 à 11.16 h
Rubrique: A propos d’images
Mots-clés: banque d’image , photojournalisme , presse , publicité , éthique
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Revoici le temps de ma revue des revues de l’année en images. Mais l’exercice devient un peu lassant, tant les styles éditoriaux de la plupart de ces revues n’évoluent pas d’une année à l’autre et tant les sujets traités semblent être toujours les mêmes, ce qui est infiniment plus grave. Et ce n’est pas la faute aux photographes, c’est bien ce qui accable le monde qui ne change pas. Ou si peu.


Dans ma sélection - très subjective et exclusive - je me retrouve toujours avec une majorité de sites américains. La tradition des revues de l’année est-elle plus fortement implantée chez les Étasuniens ? Les agences et banques d’images - puisque je ne cite que des revues basées sur les images - y sont-elles mieux fournies qu’ailleurs ? Les rédacteurs photo sont-ils plus futés qu’ici, les droits pour la rediffusion des photos sont-ils moins élevés, ou suis-je en train de virer américanophile ? Toujours est-il que j’ai trouvé bien peu de revues de l’année en images, issues du monde francophone, qui soient présentables.

• Avec un choix très équilibré de bonnes images, qui toutes racontent quelque chose, le diaporama du New York Times se détache un peu du lot. On sent ici, encore plus que pour les autres revues de l’année, une volonté de ne pas présenter que la noirceur du monde, sans pour autant se vautrer dans le cliché facile. Classe.

• Le bien nommé The Big Picture, du Boston Globe est vite devenu incontournable. Cela se passe en 3 parties : part 1, part 2, part 3. Il n’a pas échappé aux agences de presse que nous terminons la première décade du siècle. Cela nous vaut quelques revues d’images de la décade. Et pendant que nous sommes sur place, regardons encore quelques clichés de saison.

• L’agence de photographes L’Oeil Public présente une attachante rétrospective qui porte sur les terrains visités par les photographes maison durant l’année. On n’y trouvera pas l’exhaustivité et les « classiques » des sites de presse. Les photographes de l’agence travaillent ailleurs, autrement, sur le long terme et portent un regard différent de celui de l’actualité vite faite, vite vue.

• En 48 images, évitant les sentiers battus, Time présente un diaporama très concis, dans lequel tous les malheurs du monde ne trouvent pas leur place. En passant, un petit diaporama sur le grand Fellini.

Magnum ne publie pas de revue de l’année. Par contre, on trouve sur leur site une approche originale (et commerciale ;-) consistant à nous présenter des galeries de photo sur des évènements dont les anniversaires vont être célébrés dans l’année à venir (cliquez sur les mois en haut de la page).

• Reuters publie une interminable série de 151 photos (souvent excellentes, mais bien trop nombreuses !) Eux aussi y vont de leur revue de la décade.

Le Temps présente un choix d’images très convenues, aussi ennuyeuses que des photos de classe dont on ne fait pas partie. Si le photojournalisme consiste à montrer des vues officielles de réunions de politiques, figés à jamais dans leur inaction, on ne va pas regretter sa disparition !

Je renonce à vous présenter des rétrospectives racoleuses et/ou pipoles vues sur des sites d’hebdomadaires « papier ». Le pompon est décroché par Paris-Match : dans une galerie photo consacrée aux disparus de l’année, on peut voter pour attribuer une note moyenne aux défunts, exactement comme sur les sites de commerce où l’on est amené à voter pour un modèle de machine à laver ou pour une marque de biscottes.

Dans un genre assez différent des revues citées ci-dessus, avec du recul et du sens critique, André Gunthert nous présente 9 images pour 2009. Ses choix reviennent sur des images qui ont suscité des commentaires liés à leurs propriétés d’images et pas seulement aux événements qu’elles ont relatés.

Note de service : Je vais me faire encore un peu plus rare sur ce blog dans les semaines qui viennent, car je suis en plein déménagement. Et dans la vraie vie, c’est un peu plus compliqué que de changer de serveur ou de disque dur ;-)

Heureuse nouvelle année à vous qui me lisez.

Béat Brüsch, le 31 décembre 2009 à 00.45 h
Rubrique: Regarder en ligne
Mots-clés: agence , médias , photojournalisme
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