Une prise de position parue ce jour dans Le Courrier nous rappelle l’affaire de censure d’un livre de photo de Christian Lutz. Dans une conférence de presse tenue le 7 février, le Musée de l’Élysée nous révélait que le livre In Jesus’ Name (2012), que le photographe a réalisé en immersion dans la secte ICF (International Christian Fellowship) à Zürich, avait été provisoirement interdit par une décision de justice. Bien que le photographe ait été dûment accrédité par les dirigeants d’ICF, 21 personnes se sont plaintes d’une atteinte au droit à l’image.
Liens :
Communiqué du Musée de l’Élysée du 7 février 2013 (.pdf)
Article d’Arnaud Robert, Le Temps du 8 février 2013
Prise de position de Pascale et Jean-Marc Bonnard Yersin, Directeurs du Musée suisse de l’appareil photographique à Vevey, dans Le Courrier du 28 février 2013
Page de Christian Lutz à l’agence VU
Au-delà de la reconnaissance du droit, pour les photographes, de témoigner en images de toutes les joies et turpitudes du monde, nous osons espérer à minima que l’« effet Streisand » se déploie avec la vigueur qui sied à toute (tentative de) censure.
À force de parler des droits d’auteur du point de vue des industries culturelles, on en vient à oublier que les photographes rencontrent des difficultés spécifiques liées, elles aussi, au partage sur internet. Dans l’article qui suit - publié sur OVNI - Lyonel Maurel (Calimaq), une autorité en matière de droit d’auteur confronté aux nouvelles technologies, fait le point et relève quelques dérives. Voici son article (avec une nouvelle iconographie) ...
Passée la dimension policière de l’évènement, l’affaire MegaUpload a ravivé les débats sur la gestion des droits d’auteur sur Internet. Une problématique traversée par de fortes tensions ; qui touchent en particulier les droits des photographes. Avec quelques grands acteurs aux propositions radicales, comme celle consistant à instaurer un « permis de photographier ».
Comme l’explique la Quadrature du Net, la place qu’avait pris le site MegaUpload dans le paysage numérique peut être considérée comme une conséquence de la guerre au partage conduite par les industries culturelles au nom de la défense du droit d’auteur :
« MegaUpload est un sous-produit direct de la guerre menée contre le partage pair à pair hors-marché entre individus. Après avoir promu une législation qui a encouragé le développement des sites centralisés, les lobbies du copyright leur déclarent aujourd’hui la guerre [...] La vraie solution est de reconnaître un droit bien circonscrit au partage hors marché entre individus, et de mettre en place de nouveaux mécanismes de financement pour une économie culturelle qui soit compatible avec ce partage. L’éradication de MegaUpload par la justice américaine constitue un épisode spectaculaire de cette croisade du copyright, mais la guerre au partage qui la sous-tend revêt parfois des formes plus discrètes, mais insidieuses, dans d’autres branches de la création. »
C’est à mon sens particulièrement le cas dans le domaine de la photographie et j’ai été particulièrement frappé, tout au long de l’année dernière, de la dérive du discours et de l’action de lobbying menée en France par les photographes professionnels, qui sont graduellement passés de la lutte (légitime) pour la défense de leurs droits à une forme de combat contre les pratiques amateurs et le partage entre individus, y compris à des fins non-commerciales. Il est intéressant d’analyser les glissements idéologiques progressifs qui amènent les titulaires de droits à se dresser contre les internautes et à se couper des moyens d’évoluer pour s’adapter à l’environnement numérique.
- © David Sky, seemsartless.com, CC BY-NC-SA 2.0
Bien entendu, la photographie est un média particulièrement fragilisé par les évolution d’Internet et j’ai déjà eu l’occasion de me pencher sur les effets corrosifs que la dissémination incontrôlée des images inflige aux fondements même du droit d’auteur dans ce secteur.
On comprend dès lors que les photographes professionnels soient sur la défensive. En juillet 2001, en marge des Rencontres d’Arles de la photographie, l’Union des photographes professionnels (UPP) avait ainsi organisé une spectaculaire marche funèbre pour enterrer le droit d’auteur. Le sens de cette action était de lutter contre des pratiques jugées abusives et attentatoires aux droits des photographes, comme le « D.R. » employé par la presse, les contrats léonins proposés par certains éditeurs ou la concurrence déloyale des micro-stocks de photographie comme Fotolia, pourtant labellisé par Hadopi.
Jusque là, il n’y a pas grand chose à redire à ce type de combats, qui rappellent ceux que les auteurs de livres mènent pour faire valoir leurs droits face au secteur de l’édition et qui me paraissent tout à fait légitimes. Il est indéniable qu’une des manières de réformer le système de la propriété intellectuelle dans le bon sens consisterait à renforcer la position des créateurs face aux intermédiaires de la chaîne des industries culturelles.
- © Ian Britton, FreeFoto.com, CC BY-NC-ND 3.0
Mais pour lutter contre les sites comme Fotolia, qui proposent des photographies à des prix très bas, les photographes professionnels ont commencé à critiquer l’expression « libre de droits », mauvaise traduction de l’anglais « Royalty Free », en rappelant (à juste titre) qu’elle n’avait pas de sens en droit français. Lors du congrès 2011 de l’UPP, une Association de lutte Contre le Libre de Droit (ACLD) a même été créée par plusieurs groupements de professionnels de la photographie C’est à partir de là qu’un dérapage a commencé à se produire chez les photographes, avec une dérive vers la guerre au partage, les pratiques amateurs et la gratuité. Après le “libre de droits”, les représentants des photographes en sont en effet venus à combattre “le libre” tout court, au nom d’amalgames de plus en plus discutables.
La première manifestation sensible de cette dérive a été l’opposition de l’UPP au concours Wiki Loves Monuments, organisé par la fondation Wikimedia pour inciter les internautes à photographier des monuments historiques et à les partager sur Wikimedia Commons. L’UPP a dénoncé de manière virulente cette initiative, en s’élevant contre le fait que la licence libre de Wikimedia Commons (Creative Commons CC-BY-SA) permet la réutilisation commerciale et en demandant sa modification :
« Présentée comme une action philanthropique, cette initiative relève davantage d’une opération strictement commerciale. En effet, l’accès au concours est conditionné par l’acceptation d’une licence Creative Commons qui permet l’utilisation commerciale des œuvres. Des opérateurs privés ou publics peuvent dès lors utiliser gracieusement ces photographies sous forme de cartes postales, posters, livres ou encore à des fins d’illustrations d’articles de presse. Les photographes professionnels qui vivent de la perception de leurs droits d’auteurs s’inquiètent de cette démarche, qui constitue une concurrence déloyale à leur égard. Les initiatives de partage libre de la connaissance à des fins culturelles et pédagogiques sont légitimes, mais ne doivent pas conduire à mettre en péril la création. »
Pour des professionnels qui prétendent défendre le droit d’auteur, ce type de position radicale est très surprenant. Car c’est en effet un des principes fondateurs du droit d’auteur français que les créateurs décident de manière souveraine de la manière dont ils souhaitent divulguer leurs oeuvres. Si un auteur veut partager sa création gratuitement, y compris en permettant les réutilisations commerciales, rien ne devrait pouvoir l’en empêcher ou alors, le droit d’auteur n’a plus de sens. Un article du Code de propriété intellectuelle consacre même explicitement cette possibilité de diffusion gratuite :
« L’auteur est libre de mettre ses oeuvres gratuitement à la disposition du public, sous réserve des droits des éventuels coauteurs et de ceux des tiers ainsi que dans le respect des conventions qu’il a conclues (Art. L. 122-7 CPI »)
Ici l’UPP, pour protéger des intérêts professionnels, prétend condamner cette liberté, dont veulent user des internautes pour contribuer volontairement à un projet collaboratif. Et ils sont par ailleurs des millions à mettre en partage leurs photos sur Wikimedia Commons, mais aussi sur Flickr, Deviant Art, et d’autres plateformes encore.
- © Quentin Xerxes Zamfir, flickr.com/qxz, CC BY-NC-SA 2.0
Mais les photographes professionnels vont plus loin encore. Au-delà de la Culture libre et de l’idée de biens communs, c’est tout un pan de la culture numérique qu’ils entendent remettre en question, avec la montée en puissance des amateurs. Cette tendance se lit clairement sur un des forums ouverts par les Labs Hadopi, dont les experts travaillent sur le thème de la photographie. On y trouve notamment cette déclaration d’un photographe, qui soulève des questions assez troublantes :
« Ce métier n’est aucunement régulé, et les associations comme l’UPP (Union des photographes professionnels, dont je fait partie) font ce qu’elles peuvent. La comparaison la plus courante reste celle des taxis. Un métier régulé et normé, tant dans le droit d’exercice que dans les critères de nombre. Avoir une voiture ne fait pas de toi un Taxi. A contrario, avoir un appareil photo fait de n’importe qui un photographe établi et un énième concurrent. »
Ou encore celle-ci, tout aussi éloquente :
« [...] il me semble que la difficulté numéro 1 des photographes à l’ère numérique, c’est l’afflux massif d’amateurs qui vendent leurs photos à prix bradé voir gratuitement. »
Le glissement dans le discours atteint ici des proportions très graves. Nous ne parlons plus en effet seulement de lutter contre le téléchargement, mais d’un corps de métier, menacé par Internet, qui commence à glisser à l’oreille des pouvoirs publics qu’il pourrait être bon d’instaurer un « permis de photographier » ou une sorte de numerus clausus, pour limiter chaque année le nombre de photographes assermentés !
D’une certaine manière, les photographes sont en train de remonter à la racine historique du droit d’auteur, dont les premiers linéaments sont apparus sous l’Ancien Régime sous la forme d’un double système de privilège et de censure, contrôlé par l’Etat. Le Roi en effet, accordait un « privilège » à un imprimeur afin de lui conférer un monopole pour exploiter un ouvrage et se protéger des contrefaçons produites par ses concurrents. On retrouve bien en filigrane, cet esprit dans les revendications des photographes, sauf qu’à présent, ils demandent l’instauration d’une forme de « protectionnisme juridique » pour les protéger des amateurs et du public, et non d’autres professionnels.
A une heure où le partage des photographies est massif sur Internet (plus de 100 milliards de photos sur Facebook…) et s’accélère encore avec le développement des usages mobiles (voir le succès d’Instagram), on sent bien que ce type de positions est complètement irréaliste. Elle ne peut que conduire sur le plan légal à instaurer des systèmes de contrôle et de répression des pratiques culturelles qui se répandent dans la population et dont on devrait se réjouir, plutôt que de chercher à les condamner.
D’une certaine manière, les propos des photographes rappellent la « Pétition des fabricants de chandelle » qui avait été inventée en 1845 par l’économiste Frédéric Bastiat pour discréditer le protectionnisme économique. Dans cette parabole, les fabricants de chandelles demandent à l’Etat de les protéger contre la concurrence déloyale… du Soleil !
« Nous subissons l’intolérable concurrence d’un rival étranger placé, à ce qu’il paraît, dans des conditions tellement supérieures aux nôtres, pour la production de la lumière, qu’il en inonde notre marché national à un prix fabuleusement réduit ; car, aussitôt qu’il se montre, notre vente cesse, tous les consommateurs s’adressent à lui, et une branche d’industrie française, dont les ramifications sont innombrables, est tout à coup frappée de la stagnation la plus complète. Ce rival, qui n’est autre que le soleil, nous fait une guerre (si) acharnée […] Nous demandons qu’il vous plaise de faire une loi qui ordonne la fermeture de toutes fenêtres, lucarnes, abat-jour, contre-vents, volets, rideaux, vasistas, œils-de-bœuf, stores, en un mot, de toutes ouvertures, trous, fentes et fissures par lesquelles la lumière du soleil a coutume de pénétrer dans les maisons, au préjudice des belles industries dont nous nous flattons d’avoir doté le pays, qui ne saurait sans ingratitude nous abandonner aujourd’hui à une lutte si inégale. […] »
Ce que révèlent les positions des photographes professionnels, c’est avant tout un profond désarroi face aux évolutions du numérique et une difficulté à penser un modèle économique adapté aux nouveaux usages en ligne. Il existe pourtant des exemples convaincants de photographes qui ont réussi à comprendre comment utiliser à leur profit les pratiques de partage pour valoriser leurs créations et développer leur activité.
C’est le cas par exemple de l’anglais Jonathan Worth, cité dans l’ouvrage The Power of Open qui recense les exemples de réussite de projets employant les licences Creative Commons. Incité à utiliser les Creative Commons après une rencontre avec Cory Doctorow, il publie aujourd’hui ses clichés sur son site sous licence CC-BY-NC-SA. La diffusion et les reprise de ces photos lui a permis de gagner une notoriété, qui lui a ouvert les portes de la National Portrait Gallery à Londres et de photographier les grands de ce monde. Dans une interview donnée au British Journal of Photography, il explique en quoi les licences libres lui ont permis de penser un nouveau modèle en jouant sur la réservation de l’usage commercial, tout en permettant la reprise de ces photos librement à des fins non commerciales :
« Maintenant je peux comprendre comment utiliser les forces des personnes qui réutilisent mes images gratuitement. C’est comme mettre un message dans une bouteille et laisser les vagues l’emmener ailleurs, en tirant bénéfice de l’énergie des marées. Creative Commons me permet d’utiliser l’architecture du système et d’être en phase avec les habitudes des natifs du numérique sur les réseaux sociaux. Les contenus sont les mêmes, mais leur mode de distribution a changé. Je n’ai pas trouvé la formule magique, mais CC me permet de profiter de choses qui autrement joueraient contre moi. »
De manière plus provocatrice, le photographe américain Trey Ratcliff, qui tient l’un des blogs photo les plus suivis de la planète (Stuck in Customs) expliquait récemment sur le site Techdirt les raisons pour lesquelles il ne se préoccupe pas du piratage de ses créations et pourquoi il considère même que c’est un avantage pour son business. Il explique comment le partage de ses oeuvres lui permet de donner une visibilité son travail et de se constituer une clientèle potentielle. Et de terminer par cette phrase qui va nous ramener au début de cet article :
« Tout mon travail est piraté. Depuis mes tutoriels photo HDR, jusqu’à mes livres numériques en passant par mes applications. Parfait. Tout est sur PirateBay, MegaUpload et d’autres sites de ce genre. Le fait est que j’ai de bonnes raisons de ne pas m’en préoccuper. »
Si MegaUpload est devenu une telle menace pour les industries culturelles, c’est avant tout parce qu’elles n’ont toujours pas réussi à sortir du « modèle économique de la pénurie organisée », comme le rappelle à raison Samuel Authueil sur son blog. L’exemple des photographes que je cite ci-dessus montre pourtant que des créateurs peuvent tirer profit de la nouvelle économie de l’abondance, en adoptant des modes plus ouverts de distribution de leurs contenus, en phase avec les pratiques de partage sur les réseaux.
S’enfoncer dans la guerre au partage comme le font actuellement les représentants des photographes professionnels, lutter contre les pratiques amateurs et la gratuité, c’est courir le risque de subir une véritable Berezina numérique, comme le reste des filières culturelles qui refusent l’évolution de leurs modèles.
Ce n’est pas d’une réforme légale que le système a besoin, mais d’une profonde refonte de la conception de la valeur, qui entre en symbiose avec les pratiques de partage plutôt que de tenter de les combattre.
Ce texte de Lyonel Maurel a été publié sur OWNI le 25 janvier 2012 sous licence Creative Commons by-nc
Les photos créditées CC le sont bien évidemment sous Creative Commons
Anciens billets sur le sujet dans Mots d’images :
• 26.03.2009 : La photo, parent pauvre du droit d’auteur ?
• 30.10.2008 : Oeuvres orphelines - Comment le droit d’auteur sur les images se fait bousculer
« Les livres sont différents des autres biens et la loi devrait reconnaître ce fait. Les lettrés comme nous, à qui une nouvelle somme de connaissances a été transmise grâce aux livres ont l’obligation de partager ces connaissances à leur tour, en recopiant et en distribuant les livres aussi loin que possible. Je n’ai pas dégradé le livre de Finnian en le recopiant. Il possède toujours l’original et cet original n’est pas à moi. Il n’a pas plus perdu de sa valeur du fait que je l’ai retranscrit. Le savoir qui est contenu dans les livres devrait être disponible pour tous ceux qui veulent les lire et qui sont capables de le faire ; et il est injuste de dissimuler cette connaissance ou d’essayer de cacher les choses divines que les livres contiennent. Il est injuste de m’empêcher, moi ou quiconque, de les copier ou de les lire ou d’en faire des copies abondantes pour les disperser dans tout le pays. Pour finir, je soutiens qu’il devrait m’être accordé de pouvoir copier ce livre, car si j’ai beaucoup appris du travail difficile qu’impliquait sa transcription, je n’ai tiré aucun profit vénal de cet acte ; je n’ai agi que pour le bien de la société dans son ensemble et ni Finnian, ni son livre n’eurent à en souffrir ».
De quand date ce texte ? De la semaine passée ?... perdu ! Il a été écrit au 6e siècle par Saint Colomban, moine copiste et poète irlandais, qui fut jugé coupable d’avoir copié un texte contre la volonté du propriétaire du manuscrit original. Sa conception de la propriété intellectuelle trouve aujourd’hui un écho auprès des apôtres d’une révision du droit d’auteur. L’histoire est racontée de manière fort enthousiasmante par Calimaq sur le blog S.I.Lex : Saint Finnian et le Necronomicon du Copyright...
Le livre Free Culture, de Lawrence Lessig a été traduit en français et mis en ligne récemment sous licence Creative Commons. Le très actif juriste américain, spécialiste de la propriété intellectuelle et référence mondiale du droit d’auteur à l’ère de l’internet, n’avait encore jamais été traduit en français. C’est maintenant fait et téléchargeable ici. [1]
Culture libre (2004) est un ouvrage foisonnant - même un peu bavard - qui, à travers de nombreuses histoires réellement édifiantes, [2] nous fait percevoir les limites et absurdités de législations inadaptées aux conditions techniques de leurs époques. Ne vous attendez pas ici à une recension de cet ouvrage dont le propos est d’ailleurs peu réductible. Je me contenterai de quelques généralités non étayées. Plus loin, nous verrons les implications de ces idées dans le domaine de la photo qui est à mon sens l’éternel parent pauvre du droit d’auteur. Précisons que Lessig se réfère presque exclusivement au droit américain, ce qui pour certains concepts diffère quelque peu des acceptions européennes.
Le point central de la réflexion de Lessig est que les idées sont à tout le monde. De la circulation des idées naissent de nouvelles idées. Chaque philosophe, chaque artiste, chaque citoyen ne serait rien s’il ne pouvait s’appuyer sur le travail de ses prédécesseurs. Cela s’appelle la culture. Avec les nouvelles technologies, les idées circulent bien plus qu’avant et d’une manière tellement différente que les lois sur les droits d’auteur ne pouvaient le prévoir. Avec internet, nous passons d’une culture du read-only (récepteurs passifs d’une culture produite ailleurs) à celle du read-write, ou chacun, savant ou citoyen, peut se saisir de « matériaux » formulés ailleurs pour s’exprimer en construisant son propre langage.
Contrairement à ce que pourrait laisser croire une lecture simplificatrice, Lessig n’est pas du tout opposé au droit d’auteur ou à sa rémunération. Culture libre ne signifie pas culture sans droits ou culture gratuite. Entre une juste rémunération des auteurs et la mainmise de grandes compagnies arcboutées sur des privilèges d’un autre temps et sur des modèles économiques dépassés, il y a un espace dans lequel on peut trouver des solutions. L’utilisation des licences Creative Commons (dont Lessig est par ailleurs membre fondateur et président) va dans ce sens. Dans de nombreux exemples, Lessig nous rappelle que les lois, y compris celles sur le droit d’auteur, ont été souvent révisées pour s’adapter à des évolutions technologiques. Pour lui, « chaque nouvelle génération (technologique) accueille les pirates de la génération précédente ».
La diffusion des oeuvres de l’esprit (production immatérielle) se fait souvent par le truchement d’un support physique. Ce support (livre, CD, film, tableau, reproduction sur papier) a tellement servi qu’il a fini par être assimilé à son contenu. Dans les faits il n’en est rien : dans le prix d’un CD il y a une (faible) partie immatérielle qui est le propre de chaque création, des frais de production et de promotion et un peu de plastique et de papier imprimé. Les internautes ne s’intéressent qu’à la partie créative et ne veulent payer que celle-là. Les majors voudraient assimiler la copie d’une musique sur internet au vol d’un CD chez le disquaire. Il faut tout de même remarquer que la copie d’une musique ne prive pas le détenteur de son bien, alors que le disquaire, lui, a dû acheter le CD avant de le revendre. C’est toute la différence entre 2 mondes. L’affranchissement du support donne des ailes aux productions de l’esprit... et du souci à ceux qui vendent le support.
Avec internet, chaque consultation d’une oeuvre produit une copie. Cela change complètement les conditions de diffusion des oeuvres. Il s’ensuit l’idée que la copie ne devrait pas être systématiquement le déclencheur du copyright. Les divers usages de la copie doivent être mis au centre de la discussion, ils sont déterminants pour une juste évaluation du droit. C’est ici qu’on voit (re)surgir l’idée de l’enregistrement des oeuvres sur un registre pour en revendiquer le droit d’auteur. Je reviendrai sur cet aspect (que je n’aime pas) plus loin dans ce billet.
Lessig nous rend attentifs au fait que les oeuvres peuvent avoir plusieurs vies. La première, si son auteur a un peu de chance, est sa phase commerciale. La durée de vie « rentable » d’un livre, par exemple, n’est pas très longue. Quand il disparait des rayons du libraire, poussé par de nouveaux livres, il peut encore être acheté dans des magasins d’occasion sans que l’auteur ne soit rémunéré. Plus tard, il sera lu tout aussi gratuitement dans des bibliothèques de prêt. Peut-être sera-t-il archivé quelque part, bien à l’abri, inatteignable et voué à l’oubli. Des archives redondantes, avec des accès en ligne dûment indexés, pourraient garantir qu’il n’en aille pas ainsi. (Par contre, que cette prestation soit monopolisée par une seule société - commerciale - n’est peut-être pas très heureux.) Bien sûr, toutes les sortes d’oeuvres ne présentent pas les mêmes caractéristiques à ce niveau. Pour parvenir à ce rêve d’une moderne bibliothèque d’Alexandrie il faut que les durées de vie « rentables » des oeuvres soient réduites. Et les usages nouveaux qui en découlent devraient être réglés statutairement (fixés par la loi) au lieu d’être laissés à la merci de sociétés commerciales plus motivées par l’âpreté au gain que par un souci de conservation du patrimoine de l’humanité.
Et la photo dans tout ça ?
À la lecture des propos de Lessig, je retrouve les mêmes petites frustrations que j’ai souvent relevées lorsqu’on parle de droits d’auteur en relation avec internet : on ne fait pas grand cas des photos (ou plus généralement des images). Les problèmes les plus criants sont toujours liés aux téléchargements de vidéos et de musique que les majors s’efforcent de criminaliser, entrainant des gouvernements bornés à traiter des gamins comme s’il s’agissait de dangereux terroristes. Les photos, qui pourtant pullulent à portée de nos souris, ne font pas l’objet de grands débats passionnés.
Il y a des différences de nature évidentes entre les médias : des images animées, des images fixes, des textes, de la musique, des idées ou toutes autres productions de l’esprit ne se créent ni ne se consultent de la même façon. Cela va sans dire, mais n’est pas toujours pris en compte. Essayons de déterminer comment les images ou les photos se différencient des autres oeuvres protégées et de dégager des usages spécifiques impliquant d’autres manières d’aborder leur droit d’auteur. [3]
Plein de photos partout !
Le partage de films ou de musiques demande une certaine volonté, car il faut opérer des démarches techniques, plus ou moins compliquées, pour y parvenir. Les musiques et les films ne déboulent pas spontanément sur les écrans. L’accès aux photos est par contre d’une facilité déconcertante : il y a des images partout sur le web. Une simple requête sur Google, une consultation de Flickr ou d’un blog quelconque et voilà plein de photos sur votre écran, « yaka » les prendre. Cette disponibilité des images les rend aussi banales que celles que vous produisez vous-même (enfin, pour la plupart des gens ;-) Allez ensuite expliquer qu’il y a des règles compliquées de droit d’auteur pour ces images... L’ordinateur est en réalité un fantastique « copieur ». Les photos qu’il affiche sont perçues comme des éléments d’usage courant. (Peu importe que ces pixels se situent dans la mémoire vive qu’utilise votre browser ou soient réellement copiés sur votre disque dur.) Pour le grand public, et cela bien avant la récente multiplication des appareils de prise de vue, le statut des photos se situait déjà dans la banalité des usages familiaux, du souvenir ou de la documentation ordinaire. Le foisonnement actuel des APN n’a fait qu’accentuer ces caractéristiques.
Engouement
Les passionnés de Sting ou des Beatles sont infiniment plus nombreux que les mordus de Cartier-Bresson ou de Capa (distinction purement quantitative !) En musique, les oeuvres recherchées le sont pour leurs auteurs et interprètes. En photo (sauf pour les connaisseurs), c’est plutôt une valeur documentaire ou décorative qui est recherchée, peu importe qu’elle soit signée par un grand nom. C’est dur pour l’ego des photographes, mais c’est bien comme cela que l’internaute lambda le ressent.
Qualité de reproduction
La numérisation a pour caractéristique de ne pas dégrader le signal. Cela permet aux fichiers musicaux (et dans certaines conditions au cinéma/vidéo) de diffuser une qualité de reproduction théoriquement parfaite ou du moins très fidèle. On ne peut en dire autant pour les photos diffusées sur internet. Les photos « de valeur » (art, photojournalisme ou autres productions de professionnels ou d’amateurs-experts) ne sont disponibles que sous une forme dégradée, car un affichage sur internet se contente de fichiers en basse résolution. Les fichiers originaux en haute résolution, qui seuls permettent des tirages et des impressions de qualité ne sont pas disponibles. Cela laisse à la photo un peu de marge avant de pouvoir être pillée intégralement ;-) Les tirages papier sont toujours très prisés sur un marché de l’art en pleine expansion et il est vrai qu’aucune imagette d’un grand photographe « trouvée sur internet » [4] ne soutiendra la comparaison avec un tirage sur papier. Par contre, les fichiers en basse résolution que véhicule internet sont suffisants pour une utilisation sur... internet. On peut donc prétendre que - pour le moment - la photo se distingue nettement des fichiers musicaux sur le plan de la qualité technique disponible. Mais il est difficile de prévoir l’évolution des standards de lecture. On s’est habitué à l’écoute de musique rediffusée, par haut-parleurs et par écouteurs, alors que les concerts sont d’une qualité bien supérieure. On semble s’habituer au visionnement de films sur des écrans privés de plus en plus petits, alors que tout le monde est encore d’accord pour reconnaitre une supériorité à l’écran d’une salle de projection. Que va-t-il se passer pour les photos ? On constate déjà que les standards évoluent vers une consultation majoritairement sur écrans. Une proportion très élevée d’images ne sera jamais imprimée (ce qui, au passage, fait bien sourire quand on assiste à la course aux mégapixels pour les capteurs). Il est possible que la consultation de photos en basse définition augmentant, elle devienne ainsi un véritable standard... À moins qu’elle ne le soit déjà ?
Conditions économiques
Les marchés du showbiz et de la photo sont incomparables. Les volumes d’affaires, les conditions créatives, la structure des marchés, l’industrialisation, tout est différent. Sur un appareil photo, il n’y a qu’un seul viseur ! Là ou l’auteur de la photo est à peu près seul, on trouve pour la musique, une chaine de production et de distribution à une échelle industrielle. En moyenne une photo, avant l’arrivée des agences lowcost, se vendait à un prix largement inférieur (d’un facteur 100) au prix de revient de l’enregistrement de la moindre chansonnette. Il est à remarquer que ce prix n’est d’ailleurs pas facturé au consommateur final (enduser), mais à l’éditeur qui publie la photo. À l’heure ou tout le monde (y compris l’enduser) peut devenir éditeur, cela met au jour une autre difficulté pour les photos de se prévaloir d’un statut d’oeuvre protégée. On comprend aussi qu’il est plus facile pour une organisation industrielle d’entretenir des armées d’avocats pour faire respecter un droit d’auteur que ça ne l’est pour un artisan. Les seules organisations industrielles à s’occuper de droits d’auteurs pour les images sont les grosses banques d’images. Charité bien comprise commençant par soi-même, on ne s’étonnera pas qu’elles défendent avant tout leur propre vision du droit d’auteur et fassent fréquemment usage de photos en DR. [5]
Amateurs <-> professionnels
La musique, cela ne s’improvise pas. Que l’on soit amateur ou professionnel, il faut faire ses gammes pour pouvoir se faire entendre. Encore un lieu commun ! Mais il est bon de le rappeler pour souligner ce statut de « mérite » dont jouit une pratique qui n’est pas à la portée du premier venu. Il est infiniment plus difficile de jouer du violon que d’appuyer sur le déclencheur d’un APN. L’immense majorité des photographes du dimanche se contente de ce petit miracle et ne se pose pas trop de questions sur la portée du geste minuscule qu’il vient de faire. On ne s’étonnera donc pas que la notion de droit d’auteur ne l’effleure même pas. La pratique de la photo se caractérise par une forte coexistence entre amateurs et professionnels, sans pour autant que les uns se soucient réellement des autres. L’ennui, c’est que toutes ces images, qu’elles soient le résultat d’une véritable démarche créative et technique ou qu’elles soient juste une tentative convenue de « prendre une image », se retrouvent sur internet totalement mélangées, sans repères visibles de leurs statuts spécifiques. Pourquoi pas, d’ailleurs ? Mais cela noie encore un peu plus les distinctions qu’on pourrait vouloir faire.
Perspectives
Comme on le voit, non seulement, les photos sont difficilement perçues comme des oeuvres dignes du droit d’auteur, mais la (re)définition de ce droit et son application ne sont pas vraiment à l’ordre du jour. Les pistes pour y arriver sont peu distinctes car les intérêts des uns ne recouvrent pas les aspirations des autres. Les forces en présence (et les préjudices) sont trop faibles pour qu’elles puissent se faire entendre. Une fois de plus, ceux qui ont le plus à gagner (les grosses banques d’images) seront les seuls à se faire entendre.
Lawrence Lessig fait une grande place au principe de l’enregistrement des oeuvres sur un registre centralisé pour en revendiquer le droit d’auteur. Cette idée peut paraitre séduisante et elle a effectivement beaucoup d’adeptes aux USA où le Congrès s’apprête à voter dans ce sens. (J’ai déjà parlé de cela dans ce long billet, ici.) Voici typiquement une idée qui n’est pas appropriée au monde de la photo. Quand on produit 1 ou 2 films par année ou 3 sculptures monumentales ou encore une douzaine de peintures, il est facile de les faire enregistrer. Mais quand - comme c’est le cas pour de nombreux photographes professionnels - on engrange quotidiennement des centaines de prises de vue, qu’on en soumet certaines à divers clients, qu’on en publie une partie de diverses manières, qu’on en archive d’autres et qu’on en ressort des anciennes... la tâche serait d’une lourdeur insupportable et proprement ingérable, vu le statut fluctuant des photos au cours de leur existence. Les photographes sont des artisans qui préfèrent passer du temps « sur le terrain » plutôt que d’administrer une oeuvre dont la pléthore n’est d’ailleurs pas une assurance de rentabilité. Il faut noter aussi que le principe de devoir enregistrer des oeuvres sur un registre pour les protéger est en contradiction avec la plupart des législations sur le droit d’auteur européennes pour qui le statut d’oeuvre protégée est automatique dès leur création (je simplifie).
Il y a des pistes à creuser...
Les photographes utilisant un ordinateur avec efficience (pas encore tous !) prennent déjà le temps de taguer leurs photos pour pouvoir les retrouver dans leurs bases de données internes. Ces mêmes tags fonctionnent aussi en ligne. Chaque prise de vue produite par un appareil photo contient des métadonnées EXIF automatiquement intégrées au fichier (date, vitesse, ouverture, exposition, etc). Ces tags peuvent être complétés par les photographes dans leurs logiciels de traitement d’images ou leurs bases de données (catalogueurs) avec des indications telles que lieux, titre, légende, etc, ainsi que par des indications de copyright. Avec les EXIFs, pas besoin de registre, toutes les données sont déjà dans la photo !
Il me semble techniquement possible d’améliorer la portée et la prise en charge de ces métatags en les incorporant « plus profondément » dans les fichiers afin, par exemple, de ne pas les perdre lors de traitements ultérieurs du fichier comme le redimensionnement. Cela existe déjà (Digimarc) mais il s’agit d’un format propriétaire et payant et de ce fait réservé aux photos professionnelles réellement publiées. Pour que toutes les photos soient taguées, quel que soit leur statut, il faut un système de standards gratuit, approuvé par une majorité d’acteurs, dont quelques grandes marques servant de leaders. Il faut que ce marquage, à l’instar des EXIFs, soit intégré dans les fichiers des formats photographiques dès la prise de vue. Il ne serait ensuite modifiable que par l’auteur. On pourrait également y préciser un statut de Creative Commons. Mais en aucun cas il ne faudrait essayer d’imiter un système de DRM dont on a pu voir les effets désastreux et qui n’ont désormais plus la cote, même chez leurs plus ardents promoteurs. [6] On m’objectera que tout système peut être craqué par des pirates. Mais c’est oublier que les enjeux pour les photos ne sont de loin pas aussi motivants que pour de la musique ou des films. C’est oublier aussi que grâce à des logiciels de recherche basés sur l’identification d’images (comme TinEye) il sera de plus en plus facile de retrouver une image source.
Parallèlement, il me parait indispensable de généraliser l’utilisation de licences comme celles des Creative Commons. Si elles ne sont pas parfaites aux yeux de certains, elles ont au moins le grand avantage d’être fonctionnelles dès maintenant, et cela même pour un usage professionnel. Ces licences pourront toujours être complétées si les pros ont de bonnes raisons à faire valoir. Le plus grand nombre possible d’aspects du droit d’auteur devraient être régis par des dispositions statutaires, c’est à dire, par des modalités réglées par des lois précises et adaptées aux technologies, plutôt que par de beaux principes flous ouvrant la porte à une justice d’avocats, forcément inégalitaire. Tous les droits d’usages devenus monnaie courante, tels que le droit de citation, le droit à la parodie ou à la critique, ainsi que les usages non commerciaux doivent être redéfinis de façon spécifique pour la photo.
Dans cette recherche de redéfinition du droit d’auteur, les photographes professionnels ne tirent pas à la même corde que les amateurs. Mais sur internet, ces derniers sont déjà bien plus nombreux que les pros. Ils sont dans la place et sont aussi en mesure d’y dicter leur loi.
Petite « webographie » autour du droit d’auteur :
(liste non exhaustive :-)
• Lawrence Lessig :
Wikipedia
Site personnel
Lawrence Lessig : le juriste militant du free - Sur l’Atelier
Lawrence Lessig : Comment la créativité est étranglée par la loi. - Sur ReadWriteWeb - YouTube d’une conférence de Lawrence Lessig (en anglais, 19’ ) MAJ du 07.08.09 : Voir cette brève
• Petit précis de lutte contre le copyright par Cory Doctorow - Sur Framablog - Bel article exposant clairement les enjeux culturels.
• Une loi déconnectée de la réalité - Sur Libération - Un article parmi de nombreux autres sur la loi Hadopi.
• Jacques Attali répond aux artistes - Sur Slate.fr - L’auteur-qui-a-un-avis-sur-tout reprend le modèle juridique qui gère les rapports du droit d’auteur à la radio et à la télévision pour en faire un modèle économique applicable aux FAI... (Je n’y crois pas trop, mais il faut explorer toutes les pistes)
• Creative Commons
Creative Commons : Soyons créatifs ensemble - Sur Framasoft - Explications, description
Creative Commons France
Creative Commons Suisse
• Les droits d’auteur pour les nuls - Par Me Eolas - Explications très avisées sur le droit d’auteur en France.
• Droits et images - Le respect du droit des images actuel dans la pratique - Par Eric Delcroix
• Loi fédérale sur le droit d’auteur et les droits voisins - Administration fédérale - Pour mes lecteurs suisses (il y en a quelques uns).
• Je ne savais pas qu’il fallait sauver la photographie - Sur Déclencheur - J’ai déjà cité ce billet qui réagit à la pétition Sauvons la photographie.
• Oeuvres orphelines - Comment le droit d’auteur sur les images se fait bousculer - Mon précédent billet sur le droit d’auteur.
Notes:
[1] Je ris doucement à la noble idée qui est émise en préface de l’édition française, mentionnant qu’aucun politique - entre autres - ne peut faire l’impasse sur la lecture de ce livre (128 pages A4 en 2 colonnes bien serrées en corps 8 !). Je pense qu’aucun des membres de l’assemblée qui a voté la loi Hadopi ne s’y est astreint, mais j’ai sûrement mauvais esprit ;-)
[2] L’ennui avec les histoires édifiantes, c’est que l’auteur utilise toujours celle « qui va bien » avec ce qu’il veut nous faire accepter en oubliant que ça se complique un peu quand on prend d’autres exemples ;-)
[3] Il a déjà été abondamment question, ici et ailleurs, des problèmes liés au fait qu’on ne peut pas transposer le modèle de la citation textuelle au monde des images. Un morceau de texte judicieusement choisi est porteur de sens - ou d’un certain sens qui ne trahit pas forcément l’oeuvre. Il est, du reste, typographiquement et syntaxiquement signalé comme tel, nous informant de son statut et sur le sens à y prêter. Imaginez la transposition de ce principe aux images... vous voyez bien, cela ne marche pas !
[4] « Trouvé sur internet » est une expression qui fait florès. Sur Google, elle retourne 18 700 000 occurrences. Elle donne une idée de la quantité des « emprunts » dûment revendiqués qui se font sur internet. Question sourçage, il n’y a pas plus vague, mais ça vous donne un petit air de « gentil pirate débrouillard à qui on ne la fait pas ».
[5] Les photos en DR (Droits réservés) dont l’usage est de plus en plus fréquent, sont des photos dont on n’a pas pu (ou voulu !) retrouver l’auteur. Elles sont bien entendu le principal argument des apôtres de l’enregistrement des oeuvres sur un registre centralisé.
[6] En rêvant un peu, on pourrait imaginer une fonction automatique et non désactivable qui présenterait les signatures et autres mentions obligatoires au survol de la souris sur toutes les parutions en ligne. Cela éviterait du coup le travail, un peu fastidieux pour les éditeurs, de sourcer leurs images et contournerait les manquements des oublieux des bonnes pratiques.
Signalée hier par plusieurs sites internet, la publication des archives photographiques de Life par Google n’a pas (encore ?) fait beaucoup de bruit, juste quelques applaudissements. « ...ils sont sympas » nous dit bienbienbien.net, à qui on ne la fait pas. Oui, vraiment sympas de nous offrir toutes ces photos gratuitement ! (gratuitement ?) Soucieux de droits d’auteurs, mais aussi de sources de photos gratos (chacun ses contradictions : c’est un réflexe de blogueur, on ne se refait pas ;-) j’ai cherché à savoir ce qu’il en était des droits pour ces images. On a beau fouiller dans tout le site... hormis un tout petit © Time Inc. dans un coin, il n’y a rien de rien pour les légalistes. Alors que sur n’importe quel blog présentant les photos de son chat on trouve des indications inratables de leur statut légal, il ne se trouve rien de tel ici. Bizarre, non ? Bon, il y a un lien qui nous mène vers une société commerciale proposant des tirages papier, mais cela ne nous indique pas clairement ce qu’on a le droit de faire de ces photos.
- Gangster Mickey Cohen sitting amongst the front pages of newspapers that helped make him the city’s’ most infamous citizen.
- Los Angeles, 1950 - Photographer : Ed Clark - © Time Inc.
Que cherchent-ils chez Google ? Ces chérubins ne prévoient-ils pas que des photos de cette qualité, accessibles directement dans des grands formats inhabituels sur le web, seront pillées en masse ? Avec cette opération, Google augmente encore un peu son prestige de pourvoyeur gratuit de documents du patrimoine culturel mondial. Mais, en omettant sciemment d’aborder clairement les questions de copyright, il tend à accréditer un peu plus l’idée que sur le web tout est gratuit et surtout chez Google. Et ça marche. Entendu ce matin aux infos de 10 heures sur RSR1 : (à propos des photos de Life sur Google) « ...accessibles gratuitement ». Gageons que ce terme sera interprété à loisir, selon les intérêts de chacun. Et que le principe du droit d’auteur s’en trouvera encore un peu plus embrouillé. (Voir mon billet sur les oeuvres orphelines)
Ah ben tiens, je vais en mettre une, de ces photos. On verra bien s’ils m’envoient leurs avocats...
On en apprend un peu plus sur les dispositions légales pour ces images. Dans une interview à Photo District News (PDN), Andrew Blau, le président de Life, déclare en substance que sa compagnie fermera les yeux sur les utilisations non commerciales de ses images et que les blogueurs qui copient/collent leurs images ne sont pas leur première préoccupation (on s’en doutait quand même un peu ;-) Ce qui les intéresse bien plus, comme cela a été remarqué en commentaires, c’est les gros poissons commerciaux et c’est bien pour cela qu’ils se sont associés avec Getty Images (ça va saigner !) En passant, PDN a aussi remarqué qu’il n’y a pas d’indication sur le site quant à l’usage qui peut être fait ou non de ses photos.
Mais je ne vais pas tout vous réécrire, voyez plutôt la VO ici.
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