Le colloque Faut-il avoir peur des photographes amateurs ?, organisé par l’Observatoire de l’Image, s’est tenu à Paris le 5 avril dernier. Dans IMAGES magazine (no 22, mai-juin), Jacques Hémon nous donne un compte rendu des débats. Signalons, qu’habituellement l’Observatoire de l’image met en ligne les pdf de ses colloques. Celui de 2007 ne va sûrement pas tarder à être publié...
L’article d’Images s’intitule : Low cost - Les agences y résisteront-elles ? Il fait bien le point sur ce thème, par ailleurs plusieurs fois abordé dans ce blog. Et pour cette fois ce ne sera pas le sujet de ce billet. (Vous n’avez qu’à acheter le magazine ;-) J’aimerais rebondir sur un autre aspect évoqué dans le débat, celui des « réalités » que véhiculent les images.
D’emblée, l’auteur nous cite Serge Tisseron : « La réalité du monde se comprend aujourd’hui en flux d’images ». Comme le relève, Jacques Hémon : « Tout est dit ».
Plus loin, au moment de conclure, nouvelle citation de Serge Tisseron : « Elles (les photographies) étaient perçues comme le reflet du réel puis, dans les années 60, la question de leur authenticité a été soulevée. Aujourd’hui les faits sont interrogés par rapport au flux d’images : il y a doute ou discussion quand on a une seule image d’un évènement. C’est en effet la multiplication des images qui construit la réalité. D’où l’importance des légendes, qui donnent leur signification aux images. L’enjeu est donc de déterminer la place accordée respectivement à l’émotion et au discours dans chaque image. »
Cette notion de flux d’images est importante pour comprendre certaines données de la photographie d’aujourd’hui. Cela peut paraitre un lieu commun que de dire que le monde regorge d’images. Pourtant, tant qu’on ne s’est pas frotté aux Flickr, YouTube et aux innombrables ressources sur internet, sans oublier les stocks faramineux des banques d’images, on a du mal à prendre toute la mesure du phénomène.
La « ...multiplication des images... » nous contraint à de nouvelles stratégies de perception. Nos capacités à assimiler des images étant limitées, nous ne pouvons plus voir chaque image comme un élément pérenne. Nous « traitons » le surnombre comme des parties d’un ensemble mouvant, flou, toujours en reconstruction. Notre « construction de la réalité » en ressort un peu transformée : peut-être plus nuancée et sûrement moins péremptoire.
En parlant de ces flux, je ne peux m’empêcher de penser aux nuages de mots de Jean Véronis (Technologies du Language). Mais il me semble que cet effet ne sera jamais applicable à des images. En effet, les nuages de mots se basent sur l’analyse de grandes quantités de mots (qui sont communs aux textes analysés), alors qu’en matière d’imagerie il n’existe pas de vocabulaire commun qui permette l’analyse des données. Un système de tags pertinents, qu’ils soient visuels ou textuels, ne me semble pas envisageable non plus, pour des objets visuels. Finalement, que les images ne se laissent pas cerner aussi rationnellement me plaît pas mal ;-)
- Nuage de mots obtenu à partir du terme « flux d’images »
Dans le domaine de la photo de presse, cette nouvelle donne a des conséquences plus prosaïques. La multiplication des images d’un évènement et l’attestation de « vérité » qui en découle sont souvent évoquées par les professionnels de l’image et en particulier par ceux qui sont actifs dans des agences de presse. Il avait été question de ce phénomène au moment de « l’affaire Reuters » lors de la guerre du Liban. (Reuters avait mis en ligne, avant de la retirer, une photo naïvement retouchée par son auteur.) En admettant que le photographe bidouilleur ait été assez adroit pour faire passer sa manipulation, la supercherie aurait été, de toute façon, découverte rapidement après confrontation de ses images avec celles de ses confrères.
Quand il y a 50 photographes sur un évènement, il est bien entendu difficile d’être original, mais une chose est sûre : on ne peut pas tricher. Chaque faux pas serait immédiatement remis en cause par 49 autres témoignages. Ce constat n’est pas vraiment nouveau, mais à l’heure où des milliards d’images, dument indexées, circulent sur la toile, les réalités prennent corps selon d’autres règles, à la fois plus contraignantes et plus floues. Dans les débats qui s’engagent régulièrement sur l’objectivité des photos de presse, cet argument doit être pris en compte.
D’autres images sont produites, loin des sentiers battus, qui ne semblent pas s’insérer dans les flux d’images évoqués. Je veux parler, par exemple, des travaux de témoignage ou de reportage de longue haleine. Bien qu’étant des images profondément originales, souvent acquises aux prix de grands efforts, celles-ci, une fois injectées dans les circuits de diffusion en vigueur, finissent par rejoindre toutes les autres et sont soumises aux mêmes règles.
Par ailleurs, il n’y a pas de raison que les images d’amateurs qui se présentent sur le même terrain que les professionnels, échappent à cette espèce de règle du nombre, sensée cautionner leur « réalité ».
Cette « ...multiplication des images qui construit la réalité... » est donc une donnée importante à intégrer si l’on veut comprendre comment agissent les images aujourd’hui.