Note à l’attention des pros : ne vous attardez pas sur ce billet, il s’adresse à un public pas forcément pratiquant et se cantonne donc à des généralités forcément réductrices. Le but n’est pas ici de donner des modes d’emploi (de nombreux sites font cela très bien) mais de tenter d’expliquer quelques principes de base.
Avec le numérique, on croit souvent que la netteté des photos ne dépend que des conditions de prise de vue. Une bonne mise au point sur un sujet immobile, avec une vitesse d’obturation élevée et une profondeur de champ confortable ne sont malheureusement pas suffisants pour garantir la parfaite netteté d’une photo en toute circonstance.
Nos yeux nous font voir les différences de tons et les variations de couleurs en « tons continus ». Lorsque des photons arrivent sur un capteur numérique, ils sont analysés (par un logiciel) et transformés en une grille de pixels. Chaque pixel n’affiche qu’une seule couleur représentant la moyenne de la petite partie de réel qu’il est chargé de représenter. Il s’ensuit que cette belle continuité des tons est brisée. Ce n’est qu’avec des pixels très petits que nous pouvons voir des tons continus, mais c’est une illusion. En réalité, une (petite) partie de l’information a déjà été perdue et ce n’est que la première cause de perte de netteté. D’autres suivront à chaque fois que l’image est recalculée, par exemple, pour un changement de dimensions (rééchantillonnage) ou lors d’une préparation à l’impression. Chaque fois qu’un pixel est « créé » (par un logiciel) il est le résultat d’une moyenne de ce qui était visible précédemment.
Passer la souris sur l’image
Comme on peut le voir dans l’exemple exagéré ci-dessus, de faire des moyennes provoque fatalement une certaine dilution des valeurs de couleurs (dans les cas graves, on parle même de bouillie de pixels ;-) Si cet « appauvrissement » ne se voit pas trop dans les tons à peu près similaires, il est par contre très visible là où les contrastes sont plus marqués. Très concrètement, une image se compose essentiellement de surfaces, plus ou moins bien délimitées par leurs contours. Ce sont surtout ces contours qui permettent à nos yeux de discerner les objets. Les contours sont les zones les plus contrastées d’une image, c’est à dire, les endroits de l’image où on trouve des pixels voisins très différents les uns des autres. (Bonjour M. de La Palice ;-) Dès lors, si ces contrastes s’atténuent, nous obtenons une impression de flou et notre perception de la présence des objets en est diminuée (Re-bonjour ;-) pouvant aller jusqu’à un déficit du crédit accordé à l’image.
Pour compenser ces effets indésirables, il faut mettre en oeuvre des techniques dites d’accentuation.
Les amateurs utilisant des appareils compacts ne s’aperçoivent pratiquement pas de ces phénomènes, car l’accentuation est intégrée aux automatismes de leur appareil. Ultérieurement, en procédant à des tirages papier, de nouvelles accentuations spécifiques sont appliquées automatiquement, soit par l’imprimante, soit par les labos. Ces corrections sont en général proprement réalisées et servent tout autant à compenser les défauts inhérents au procédé utilisé qu’à produire des images techniquement flatteuses. (Le petit problème est que, à moins d’une extrême sophistication logicielle, ces corrections s’appliquent de façon uniforme à toutes les sortes d’images.)
Il en va tout autrement pour les professionnels et pour les amateurs avertis. Sur les appareils reflex, le logiciel interne permet de choisir différents types de corrections (dont l’accentuation) voire même de les désactiver. Certains reporters photographes (actualités, sports, etc) opérant avec la contrainte de délais urgents choisissent d’activer de nombreux réglages internes pour pouvoir livrer rapidement des photos d’une qualité très satisfaisante. Ces réglages sont calculés par le processeur de l’APN et appliqués avant l’enregistrement de l’image. Pour qui entend optimiser plus finement son travail, il existe de nombreuses autres possibilités, à commencer par la désactivation des réglages internes de l’appareil. Cela autorise un contrôle très fin, en postproduction, sur de nombreux paramètres de l’image, dont la netteté.
Comment fait-on des images plus nettes ? (Précisons d’emblée que la question est mal posée. On ne peut pas créer des détails qui ne figurent pas dans l’image. Il n’est possible que de compenser les pertes de netteté évoquées plus haut en jouant sur des illusions.) Quelle que soit la manière, automatique ou « à la main », le principe est le même. Nous avons vu que la cause du flou est le fait d’une diminution du contraste des pixels délimitant les surfaces des objets. C’est donc là qu’il faut agir. Il est aisé pour un logiciel d’imagerie de détecter ces contours « fautifs », même si leur contraste s’est un peu dilué. Ces zones étant repérées, il ne reste alors plus qu’à en renforcer (accentuer) le contraste.
Passer la souris sur l’image
On peut constater sur l’agrandissement ci-dessus que ce contraste est même exagéré : on voit non seulement un renforcement des tons foncés autour des objets foncés, mais aussi un liseré blanc au bord des surfaces claires. Rien de cela n’existe dans la nature ! Mais sur l’image ramenée à la bonne échelle (voir plus bas), l’effet fonctionne parfaitement. Nous voici donc pris en flagrant délit d’altération des pixels... et cela juste pour rendre l’image plus lisible !
Voilà pour le principe, car il faut évidemment doser ces effets - il y a plusieurs paramètres disponibles pour cela. Les différents choix sont tributaires des dimensions de la photo et du média destiné à l’afficher. On n’appliquera pas les mêmes réglages à une image paraissant sur le web qu’à une autre destinée à être imprimée. (Ici interviennent également des questions de résolution que nous aborderons une autre fois...) De plus, il y a un facteur humain qu’aucun automatisme ne pourra remplacer, consistant à faire des choix créatifs dépendant du contenu de l’image et de ce qu’on veut exprimer. Ajoutons que pour une préparation à l’impression, l’écran ne permet pas de voir l’effet final. Pour réussir cela, il faut du feeling et de l’expérience.
Comme rien n’est simple, il faut encore compter avec différents effets indésirables qui peuvent survenir durant ces procédés. Le plus ennuyeux est que le logiciel risque bien de prendre pour des contours (à renforcer) d’autres ensembles de pixels contrastés. En première ligne de ces artefacts, nous trouvons le bruit (grain numérique) qui, s’il est présent, n’en deviendra que plus accentué, provoquant un effet désastreux. On mentionnera aussi les rides et petits défauts des visages, qu’on ne souhaite, en général, pas souligner outre mesure !
Il existe heureusement différentes techniques pour limiter cet effet pervers. Certaines sont appliquées automatiquement par les logiciels d’imagerie alors que d’autres peuvent être plus complexes à mettre en oeuvre, allant jusqu’à devoir être réalisées « à la main » !
- Effet d’accentuation en ménageant ou non le bruit
Passer la souris sur l’image
Ces techniques sont souvent inspirées de celle du masque flou, déjà utilisée en photo argentique. (Signalons qu’en argentique les problèmes ne se posent pas dans les mêmes termes. De plus, chaque tirage papier étant réalisé à partir du même film, les défauts résultant de l’addition de traitements successifs ne surviennent pas. Mais dès que l’image est scannée, elle devient numérique (!) et répond à ces normes là. Les images scannées destinées à l’imprimerie subissaient déjà des traitements d’accentuation bien avant l’arrivée des premiers appareils numériques.)
- Image dont sont tirés les exemples de ce billet
Passer la souris sur l’image - © Béat Brüsch
Une bonne accentuation ne devrait pas se voir ! Ici, elle est un peu exagérée pour la démonstration ;-) (le détail agrandi de l’échafaudage vu plus haut provient de ce jeu de photos, sans autre modification que l’agrandissement)
Si la netteté est souvent une qualité première pour l’expressivité des photos, il faut bien admettre aussi que le flou peut en être une autre. On pensera avant tout aux zones floues induites par la profondeur de champ qui, souvent, nous font paraitre plus nets qu’ils ne le sont, les objets qui s’en détachent. Mais nous touchons là encore à un autre chapitre...
Les pros, en particulier ceux chargés de la publication, connaissent le livre de référence qui consacre pas moins de 277 pages au sujet de ce billet : « Netteté et accentuation avec Photoshop CS2 » - Bruce Fraser - Eyrolles
Rubrique: Un peu de technique
Les amateurs de beaux livres de photos noir/blanc ignorent parfois qu’il faut plusieurs couleurs pour faire du noir. Alors que nos écrans permettent d’afficher jusqu’à 256 niveaux de gris pour une photo en noir/blanc, une presse offset ne peut rendre qu’environ 50 niveaux de gris. Les photos reproduites avec cette seule couleur noire paraissent donc un peu grossières par rapport à l’original. Cette gamme de tons réduite ne laisse guère de choix à l’imprimeur : soit il privilégie de beaux noirs, soit il opte pour de beaux gris moyens ou encore de beaux blancs, chaque option se faisant au détriment des autres. Pour mieux rendre justice à l’infinité des tons de gris présents à l’origine, on a recours au procédé duotone (bichromie, en français).
L’astuce consiste à imprimer la photo en 2 couleurs, en répartissant judicieusement les niveaux de gris entre les 2 couleurs utilisées. La photo noir/blanc de départ est décomposée en 2 documents traités de manière différente :
• Pour le premier, on privilégie toutes les nuances des tons clairs en laissant les tons foncés peu différenciés. On imprime cette version avec une encre de couleur grise [1], généralement un gris « chaud ».
• Pour le deuxième, on ne garde que de légères nuances dans les tons clairs, alors que les tons foncés sont bien détaillés. Et c’est, bien sûr, la couleur noire qu’on imprime avec cette version.
On obtient ainsi une image avec une étendue de gris bien plus grande. Du fait de l’utilisation d’un gris teinté, il se produit de subtiles différences de couleurs entre les gris clairs et les gris foncés. Le passage en couleur grise permet de retrouver des gris très clairs, qui ne seraient pratiquement pas reproductibles en dessous de 10% avec du noir seul. Le chevauchement des 2 couleurs donne quant à lui, une belle densité aux tons sombres. Mais regardons un exemple... (on peut cliquer sur chaque photo pour l’agrandir dans un popup.)
- Ci-dessus, la photo originale en noir/blanc.
Je n’ai malheureusement pas réussi à simuler de façon crédible, une image en 50 niveaux de gris, telle qu’elle serait reproduite sur du papier. Cette image est donc mieux rendue, du point de vue du nombre de niveaux de gris, qu’elle le serait sur papier.
- Le document pour le gris.
Les tons clairs sont privilégiés. On garde la couleur dans les tons foncés pour « soutenir » le noir.
- Le document pour le noir.
Les tons foncés servent surtout à souligner les détails, même dans les tons relativement clairs. Il y a, quantitativement, moins de noir que sur le document original.
- La superposition des 2 documents précédents donne une photo en duotone.
(Comme dit plus haut, la différence n’est pas criante sur un écran. Mais si vous ne voyez pas de différences, réglez votre écran ou changez-le ;-)
- Le même duotone...
...passez la souris sur l’image pour comparer avec le document noir/blanc original.
Le mieux serait évidemment de (re)voir cela sur vos livres de photo. Par exemple, vous possédez sûrement des livres de la collection PhotoPoche•ActeSud. Les volumes imprimés en duotone y sont signalés en 4e de couverture. Vous constaterez que certains (probablement les plus anciens) ne sont pas en duotone. Comparez. Une manière de détecter le procédé est d’utiliser un compte-fil, ou une loupe à très fort grossissement, qui vous aident à distinguer les points de trame de 2 couleurs différentes. On peut évidemment étendre le procédé en réalisant des tritones et quadtones (trichromies et quadrichromies). C’est très raffiné, plus rare et ... plus cher ! De nombreux livres de photos noir/blanc sont réalisés en duotones. Le procédé s’applique aussi bien aux photos de provenance numérique qu’argentique (les argentiques sont de toute façon numérisées pour être imprimées).
On peut évidemment, pour d’autres besoins éditoriaux, réaliser des assemblages de couleurs plus « violents » dont les effets recherchés seront autres que d’augmenter le nombre de niveaux de gris.
Notes:
[1] La couleur du gris. Certains se demandent pourquoi on choisit généralement un gris chaud comme 2e couleur au lieu d’un gris neutre... Il existe bien une définition scientifique du gris neutre, mais celle-ci ne reste valable que dans des conditions précises d’éclairage. La couleur semble différente, dès que ces conditions changent. Ajoutez à cela les subjectivités de nos regards respectifs et vous comprendrez que la définition d’un gris neutre reste une gageure. Dès lors, puisqu’il faut faire des choix, c’est un gris chaud qui est souvent retenu, non seulement parce qu’il est plus flatteur pour l’oeil, mais surtout, parce qu’il correspond bien aux tons des tirages papier argentiques dont nous avons l’habitude.