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histoires d’images, points de vue,


Le 17 mars dernier, notre ministre des affaires étrangères, Madame Micheline Calmy-Rey, était à Téhéran pour (aider à) signer un contrat d’exportation de gaz vers la Suisse. Les USA ont sévèrement critiqué ce geste qui « viole les mesures décidées par Washington contre l’Iran ». Selon Iran-resist.org, « ... (Téhéran)... a tenu à impliquer Micheline Calmy-Rey, la ministre suisse des affaires étrangères, afin d’envoyer un message aux pays européens qui n’investissent plus dans le secteur gazier iranien. »
Beaucoup d’observateurs, qui comme moi ne sont pas experts en sciences politiques « stratosphériques », ont néanmoins été frappés par le choix vestimentaire de notre ministre. Une fois n’est pas coutume, parlons chiffons... Notre ministre se distingue véritablement par un goût très sûr pour un habillement de style contemporain exclusif, fait de rigueur, sobre élégance, chic discret, vraiment pas bling bling. Tout cela semble parfaitement maitrisé. On peut donc penser que, pour l’occasion, de se couvrir la tête d’une sorte de tchador fut un acte volontaire et réfléchi. Cela a déplu à certains dont je fais partie. Je me suis senti humilié pour les femmes iraniennes, pour les femmes suisses, et finalement dans le peu de nationalisme qui me reste.
La presse suisse a bien sûr largement diffusé les photos de cette rencontre officielle avec les autorités iraniennes. Sur l’une d’elles, on voit notre ministre affublée de son voile et de son large sourire, habilement saisie sous un portrait de l’ayatollah Khomeini. La photo n’a évidemment pas échappé aux stratèges de la communication de l’UDC - notre nauséabond parti populiste - qui s’est empressé de détourner cette image à son profit pour une annonce publicitaire de recrutement de nouveaux membres. Et ce, malgré l’interdiction prononcée par Keystone - propriétaire des droits - d’utiliser cette photo dans un but publicitaire.

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Le temps, 29-30 mars 2008 - Photo Keystone

Cette photo peu glorieuse de notre ministre, qui pour un simple chiffon, semble acquise aux coutumes barbares de ses hôtes, lui (nous) revient ainsi en pleine figure. Ce n’est certes pas la première fois qu’une photo est crapuleusement détournée. Mais ici, on ne peut s’empêcher de voir qu’on a tendu une perche à des bonimenteurs qui n’ont eu qu’à la saisir.
Cette histoire est relatée dans Le Temps de ce week-end (payant). L’article, pas très sévère, est très bien placé sur une page de droite. Pourtant la publicité de l’UDC, sur la page de gauche vis-à-vis de l’article est bien plus visible (la seule photo fait un quart de page). Comme toujours, la cohabitation d’une pub payante et de sa critique ne manque pas de dégager une impression de faux-cul.
On notera la duplicité de l’UDC, qui dans sa veine populiste fustige une alliance avec le diable, alors qu’il est, par ailleurs, le représentant le plus dur d’une économie libérale qui sera forcément bénéficiaire de cet accord gazier. Sans compter le pied de nez à l’Europe qui doit en faire marrer plus d’un.

Béat Brüsch, le 29 mars 2008 à 19.50 h
Mots-clés: manipulation , presse , publicité
Commentaires: 2

C’est bien beau de parler doctement de retouche d’images et d’en évaluer la légitimité. Mais c’est aussi oublier un peu les éternels maladroits qui sévissent dans cette activité comme partout ailleurs. Photoshop Disasters est un blog qui répertorie les plus drôles et les plus voyantes de ces maladresses. Certaines images sont confondantes de naïveté et en disent long sur la conception du monde de leurs auteurs ou de leurs commanditaires.

Vous y verrez...

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... un Lancelot transi d’amour pour une lady à 3 mains
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... une playmate née dans une feuille de chou, car elle ne porte pas la trace de son cordon ombilical
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... ou la main de l’homme invisible

Le blog n’est vieux que d’un mois et il compte déjà plus d’une trentaine d’exemples. Je lui prédis un brillant avenir, car la source n’est pas près de tarir...

Béat Brüsch, le 20 mars 2008 à 16.50 h
Mots-clés: photomontage , retouche
Commentaires: 3

Souvent, quand une photo montre un fait visuel étonnant et bien réel, au sens qu’il a existé, on mentionne que la photo n’a pas été retouchée. Je l’ai fait moi-même récemment pour vous présenter une photo un peu bizarre. J’ai le sentiment que cette pratique se répand. Je me suis demandé quelles conditions pouvaient dicter cette attitude... Cela est-il dû simplement à des menaces de véridicité planant sur le statut des images d’aujourd’hui ? Que cherche ainsi à nous dire l’auteur ? Cherche-t-il a renforcer, ou à légitimer, la valeur d’une performance ? Certains photographes jouent-ils à se confronter aux limites de la crédibilité ? Mais aussi, comment certaines de ces images « incroyables » arrivent-elles à se passer du recours à la petite phrase d’avertissement ? Petites digressions à l’aide de quelques images « limite »...

Celui qui suscite le plus remarquablement ce type d’interrogation est Philippe Ramette. Bien que produisant des photos, je ne pense pas qu’on puisse qualifier cet artiste de photographe. Il se met en scène dans des positions incongrues et se fait photographier pour attester de sa performance. Il a besoin pour cela d’un appareillage technique qu’il appelle « prothèses ». Ses mises en scène acrobatiques et qu’on imagine assez inconfortables seraient en général bien plus faciles à réaliser par des techniques de montage photo. Alors, pourquoi le faire « pour de vrai » ? On peut remarquer que Ramette ne met pas la petite phrase de mise en garde sous ses photos (ses exégètes le font pour lui) mais il explique, en interview, que les photos sont une finalité dans son travail : « Les sculptures doivent être considérées à travers la finalité qu’est la photo. » L’artiste expérimente donc physiquement, ce qui ne devrait être qu’un processus intellectuel. Il fixe ainsi les limites extrêmes auxquelles un corps humain peut se plier pour se projeter dans une image romantique. Une sorte d’expiation pour passer de l’être à l’esprit. La photo est utilisée ici pour « valider », pour nous dire « qu’il l’a fait » et accessoirement pour nous faire réfléchir à cette action, sans pour autant nous donner d’autres clés que ses spécifications techniques.

Le photographe Denis Darzacq a publié en 2006 une série de photos intitulée La Chute. En des instantanés saisissants, il a fixé des personnages en état de chute, juste arrêtés au-dessus du sol. Il s’agit de danseurs de Hip Hop ou d’autres danses acrobatiques. Ses images sont un peu énigmatiques et présentent un côté incroyable qui justifie qu’on puisse douter un instant de la réalité de ce qu’elles présentent. Dans son dossier de presse, Denis Darzacq déclare : « J’aime qu’à l’ère de Photoshop, la photographie puisse encore surprendre et témoigner d’instants ayant réellement existé, sans trucages, ni manipulations ». Son travail formel veut nous faire ressentir toute l’énergie, mais aussi la fragilité, d’une jeunesse de banlieue en butte à des barrières sociales impitoyables (les corps, mous / l’architecture, dure). Le doute qui s’instille dans notre esprit à la découverte de ces images se transforme en force d’évidence parce que d’emblée on nous informe sur le contexte de ces images. Si on devait les découvrir sans légende, ou avec juste une mention « images non retouchées », elles seraient peut-être inopérantes. Les instantanés produisent parfois des images à l’aspect quasi irréel, car le gel du temps nous révèle un point de vue que nous ne pouvions pas avoir avant, tant le mouvement était rapide. En ce sens, bien que le moment capturé par l’appareil photo ait existé, on peut parler d’une « manipulation » : une image arrêtée d’une action très rapide peut certes apporter un éclairage documentaire, mais elle ne peut pas être considérée comme relatant une vérité tangible. Le temps, nous le savons tous, ne s’arrête pas. Les lois de la gravité non plus. Les images de Darzaq n’échappent pas à ces considérations, mais ici, l’ambiguïté produite par l’instantanéité en fait des images captivantes.
Denis Darzacq a reçu le 1er Prix « Stories » du World Press Photo 2007, Catégorie Arts & Entertainment pour cette série « La Chute ». Il est représenté par l’agence VU. Denis Darzaq est habitué aux jeux avec la vérité, aux fausses certitudes que captent nos regards. Sa série Fakestars nous montre de parfaites soucoupes volantes, comme il les a vues...et comme la prise de vue les a figées. Et ces photos-là sont sûrement garanties sans retouches ! Le contraire ,dans ce contexte, serait absurde.

Ayant abordé le thème de la chute, je ne peux m’empêcher d’en signaler quelques autres :
• À commencer par celle d’Yves Klein qui se jeta dans le vide le 19 octobre 1960. La photo de son « Saut dans le vide » fit rêver un moment, mais n’a pas droit au label « Réalisé sans trucage » (quelle importance ?). Dialogus l’a interviewé (Attention, il n’y a pas que les photos qui peuvent être truquées, les interviews de Dialogus sont imaginaires, mais ils sont bien documentés.)
Kerry Skarbakka est un artiste américain qui a fait des chutes et déséquilibres en tous genres le centre de ses recherches. Là aussi, la photo sert de témoin. Lors d’actions importantes, comme la chute depuis un immeuble, c’est la presse et les badauds avertis, qui se chargent d’immortaliser ce qui ressemblerait fort à des actes de bravoure s’il n’y avait un engagement artistique.
• Vous trouverez d’autres adeptes des chutes chez Harlan Erskine.

Ces gens n’étant pas suicidaires, il est normal qu’ils prennent des dispositions (comme les cascadeurs) pour ne pas se blesser. Dès lors, question stupide : quand on dit « sans trucage », entend-on « sans trucage photographique » ou « sans trucage dans le dispositif de prise de vue » ?
- Du point de vue photographique, la réponse à cette question n’a qu’un intérêt anecdotique. Du moment qu’il y a une astuce, quelle importance cela peut-il avoir qu’elle intervienne avant, pendant ou/et après la prise de vue ? Cela permet, une fois de plus, de souligner le fait qu’une photo n’est que le résultat d’une suite de manipulations (choix du sujet, angle de prise de vue, cadrage, transposition sur une échelle de tonalités, instant, etc). Comme le remarque Joan Fontcuberta, « ... le terme même de "photographie manipulée" est une tautologie flagrante. » [1]
- D’un point de vue artistique, la réponse peut évidemment être plus complexe. Elle devra prendre en compte toute une démarche conceptuelle dans laquelle la photo ne représente qu’une partie. Cela n’est pas l’objet de ce billet.

Voici encore une chute, mais d’un tout autre genre. Cette image intense de Mahmud Hams nous fait ressentir un moment de guerre particulièrement dangereux. On frémit à l’idée de se trouver là à cet instant. Rarement les éléments d’un drame imminent n’ont été aussi visibles sur une photo. L’image est suffisamment étonnante pour susciter des questions et pourtant, il me semble qu’il ne viendrait à l’idée de personne d’en contester la véracité. (Cette image serait pourtant facile à fabriquer en photomontage.) Je ne m’en explique pas vraiment la raison et je nage sûrement en pleine subjectivité... La sensation d’urgence et l’émotion qu’elle dégage sont-elles capables d’annihiler nos barrières ? On connait d’autres critères, en général liés à des conditions de prises de vue précaires (flou de bougé) qui donnent du crédit aux images. Il y a certes un peu de cela, ici, mais la prise de vue est plutôt bien maîtrisée (quel sang froid !). Alors ? Peut-être qu’un peu d’adrénaline a réellement passé derrière l’objectif :-)Mahmud Hams a gagné le Prix Bayeux-Calvados des correspondants de guerre 2007 pour son reportage dans la bande de Gaza d’où est tirée cette photo.

À ma connaissance, les photos de presse ne sont pas munies de la petite phrase garantissant l’absence de retouche. Et pour cause, la presse n’étant pas censée nous mentir, cette pratique serait un terrible aveu ;-)

Je n’ai pas la prétention d’avoir fait le tour de mon sujet. Je ne pense pas non plus qu’on puisse tirer une quelconque conclusion générale suite à ces exemples. Mais une petite question reste posée : certaines photos devront-elles à l’avenir revendiquer ouvertement une authenticité ? Ou au contraire, sauront-elles imposer leur vérité par la seule évidence de leur contenu ?
Quand je dis « leur vérité », je ne précise pas le type de vérité que cela peut recouvrir... Mais cela est une autre histoire dont nous reparlerons certainement...

Notes:

[1] Joan Fontcuberta - Le Baiser de Judas : Photographie et vérité, Actes Sud, 222 p. (ISBN 2-7427-5778-3), p.109 et 160

Béat Brüsch, le 16 mars 2008 à 17.25 h
Mots-clés: contexte , dispositif , photomontage , retouche
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Sur la page d’accueil de ZoneZero - un des plus importants sites de photo d’Amérique latine, fondé et dirigé par Pedro Meyer - nous sommes invités à voir The Mexican Suitcase de Trisha Ziff (en anglais ou espagnol). La chose se présente comme le fac-similé d’un petit livre ancien, dont on peut tourner les pages (grâce à Flash). Le livre « original » n’existe évidemment pas, il ne s’agit que d’une mise en scène romantique. Pourquoi pas ? Du moment que les contenus n’en souffrent pas, cela nous change un peu des présentations convenues auxquelles nous sommes trop habitués.
Trisha Ziff semble avoir joué un rôle important dans la mise au jour des 3 valises. Elle nous raconte cette épopée et réhabilite quelque peu l’oeuvre de Gerda Taro, la compagne de Capa. Le rôle de David Seymour est bien sûr aussi mis en perspective. Mais surtout, nous pouvons avoir un aperçu de certaines photos sorties de ces valises, ainsi que de quelques planches de contact (on peut les agrandir). J’ignore s’il s’agit de la première vision officielle de ces photos, mais on nous donne un peu l’impression d’assister à une première.
Trisha Ziff, d’origine anglaise, naturalisée mexicaine, cumule plusieurs activités : cinéaste, commissaire indépendante, critique, historienne de la photo, etc.
Si vous aimez les histoires rocambolesques - mais alors très compliquées ! - tournez-vous vers ce texte du journaliste indépendant Michel Porcheron, qui semble avoir lu tout ce qui a paru sur l’histoire de ces valises, en particulier dans la presse et les sites hispanophones, très diserts sur la question. Je vous parlais de la découverte de ces valises dans ce billet du 31.01.08. Vous pouvez toujours y écouter une interview de Luc Debraine journaliste au Temps.

Béat Brüsch, le 12 mars 2008 à 23.15 h
Mots-clés: guerre , photographe
Commentaires: 0

Suite à mon précédent billet, certains se sont émus de ce que je puisse ajouter des nuages dans un ciel bleu. Je tiens à les rassurer : c’est très loin d’être systématique, ne serait-ce qu’à cause du travail que cela demande ;-) On a évoqué aussi la différence, chère aux Anglo-Saxons, entre postprocessed et doctored. Selon cette posture, il est admis qu’on peut se servir d’outils imitant, grosso modo, ce qui est réalisable dans un laboratoire argentique, alors que la retouche proprement dite est prohibée. Autrement dit, on peut modifier les réglages des pixels originaux, alors que la création ou l’apport de nouveaux pixels est rejetée [1].
Restons dans les nuages avec ces 2 exemples de photos postproduites dont j’ai un peu exagéré le caractère pour la démonstration. Sur la première, je me suis « contenté » de changer les réglages des pixels originaux [2]. Alors que sur la deuxième, j’ai clairement fait une petite retouche en collant des nuages provenant d’une autre photo.

Passez la souris sur l’image pour voir avant/après

Passez la souris sur l’image pour voir avant/après

Il n’y a pas photo - si j’ose dire ! Le premier exemple montre des effets dramatiques, alors que la retouche sur le second n’a qu’un faible impact [3]. Le travail sur la première image serait donc « autorisé », alors que sur la deuxième il ne serait pas admis...? Cette petite expérience (exagérée, je le redis) n’est là que pour ébranler quelques certitudes trop bien arrêtées. Les interventions en postproduction sur les photos ne se laissent pas enfermer dans des spécifications techniques. Tout est affaire de nuances. Et décidément, rien n’est simple au pays de la photo numérique !

Notes:

[1] Ceci est une vue de l’esprit, une métaphore, car les pixels des images numériques sont immatériels. Ils ne peuvent pas être transportés, enlevés, remplacés ou annulés. On peut juste modifier les données qui les caractérisent. L’ergonomie des logiciels de traitement d’images est assez bien faite pour entretenir l’illusion. Tellement bien faite, d’ailleurs, qu’on peut continuer à s’en servir dans la plupart des raisonnements.

[2] L’aspect mou et délavé de la photo originale vient du fait qu’elle a été prise au format Raw (brut) en désactivant tous les réglages d’optimisation internes de l’APN. Cela laisse de plus grandes possibilités de réglages ultérieurs.

[3] En poussant un peu le bouchon, on pourrait même dire que cette image est meileure avec sa retouche, car un ciel si bleu, dans une Bretagne réputée pour son mauvais temps, ne peut qu’attirer la suspicion ;-)

Béat Brüsch, le 22 février 2008 à 15.30 h
Mots-clés: contexte , dispositif , manipulation , photomontage , retouche , éthique
Commentaires: 3
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