Mots d'images


Suite à mon précédent billet, certains se sont émus de ce que je puisse ajouter des nuages dans un ciel bleu. Je tiens à les rassurer : c’est très loin d’être systématique, ne serait-ce qu’à cause du travail que cela demande ;-) On a évoqué aussi la différence, chère aux Anglo-Saxons, entre postprocessed et doctored. Selon cette posture, il est admis qu’on peut se servir d’outils imitant, grosso modo, ce qui est réalisable dans un laboratoire argentique, alors que la retouche proprement dite est prohibée. Autrement dit, on peut modifier les réglages des pixels originaux, alors que la création ou l’apport de nouveaux pixels est rejetée [1].
Restons dans les nuages avec ces 2 exemples de photos postproduites dont j’ai un peu exagéré le caractère pour la démonstration. Sur la première, je me suis « contenté » de changer les réglages des pixels originaux [2]. Alors que sur la deuxième, j’ai clairement fait une petite retouche en collant des nuages provenant d’une autre photo.

Passez la souris sur l’image pour voir avant/après

Passez la souris sur l’image pour voir avant/après

Il n’y a pas photo - si j’ose dire ! Le premier exemple montre des effets dramatiques, alors que la retouche sur le second n’a qu’un faible impact [3]. Le travail sur la première image serait donc « autorisé », alors que sur la deuxième il ne serait pas admis...? Cette petite expérience (exagérée, je le redis) n’est là que pour ébranler quelques certitudes trop bien arrêtées. Les interventions en postproduction sur les photos ne se laissent pas enfermer dans des spécifications techniques. Tout est affaire de nuances. Et décidément, rien n’est simple au pays de la photo numérique !

Notes:

[1] Ceci est une vue de l’esprit, une métaphore, car les pixels des images numériques sont immatériels. Ils ne peuvent pas être transportés, enlevés, remplacés ou annulés. On peut juste modifier les données qui les caractérisent. L’ergonomie des logiciels de traitement d’images est assez bien faite pour entretenir l’illusion. Tellement bien faite, d’ailleurs, qu’on peut continuer à s’en servir dans la plupart des raisonnements.

[2] L’aspect mou et délavé de la photo originale vient du fait qu’elle a été prise au format Raw (brut) en désactivant tous les réglages d’optimisation internes de l’APN. Cela laisse de plus grandes possibilités de réglages ultérieurs.

[3] En poussant un peu le bouchon, on pourrait même dire que cette image est meileure avec sa retouche, car un ciel si bleu, dans une Bretagne réputée pour son mauvais temps, ne peut qu’attirer la suspicion ;-)

Béat Brüsch, le 22 février 2008 à 15.30 h
Rubrique: A propos d’images
Mots-clés: contexte , dispositif , manipulation , photomontage , retouche , éthique
3 commentaires
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    1

    Bonjour Béat et merci beaucoup de ces précisions.

    Les corrections de la première photo ne me posent aucun problème, à tort ou à raison. La deuxième, je maintiens que c’est autre chose. Je comprends votre besoin d’ajouter des nuages sur cette photo mais c’est plus fort que moi, votre sincérité et votre effort didactique débouchent malgré tout sur cette impression désagréable d’avoir été trahi. Et qu’il s’agisse d’une image à vocation plus artistique que journalistique ne change rien à l’affaire ; plus j’y pense et plus je m’en convainc. Il y a un jeu avec l’effet de réel qu’apporte la photo que j’ai (encore) du mal à accepter. Bien sûr, ajouter quelques nuages n’est pas dramatique, si j’ose dire ; c’est même faire preuve d’un certain réalisme si l’on se met dans la peau d’un peintre (comme vous l’indiquez avec justesse dans votre 3e "note de bas de billet") ; mais si on accepte ça, on ouvre devant soi une porte immense à toutes sortes de modifications auxquelles je ne me résouds pas.

    C’est comme si je ne pouvais intellectuellement accepter cela qu’au prix d’un renoncement plus franc de l’auteur à l’effet de réel, ou s’il indiquait clairement que la photo a été "doctored". C’est une grande injustice car ceux qui les réalisent et ne disent rien de telles retouches (ultracourantes et depuis très longtemps, Gustave Le Gray et autres, nous sommes d’accord, je le sais bien) sont encensés, et ceux qui disent tout, ceux qui révèlent, me laissent confusément une impression de malaise.
    Je sais que l’art a quelque chose à voir avec le spectacle, la magie. Toutefois je n’accorde pas au photographe le même droit ou la même licence qu’à un magicien.

    Bon tout ceci est encore un peu "flou" dans mon esprit, mais grâce à vos billets sur le sujet j’avance un peu...

    Envoyé par Erwan, le 26.02.2008 à 10.16 h
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    2

    Cette « porte immense (ouverte) à toutes sortes de modifications... » est plus présente que jamais. Beaucoup vont s’y engouffrer, c’est forcé. Cela va forcément faire bouger les lignes. Autant accompagner le mouvement pour le décrire, pour tenter de comprendre...

    Tout cela est un peu « flou » dans l’esprit de beaucoup de gens et chez moi aussi. Mes billets sur le sujet n’ont pas d’autre prétention que de mettre des éléments sur la table afin d’aider à murir une réflexion.

    Précision au sujet de la 2e image : ma retouche n’est faite qu’à fin de démonstration. L’image originale, non retouchée, est toujours à voir dans ma galerie « Horizons marins » (dans laquelle vous ne trouverez d’ailleurs aucun nuage rapporté ;-)

    Envoyé par Béat, le 26.02.2008 à 11.26 h
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    3

    Excellente suggestion, je suis allé voir et j’ai passé un très bon moment. J’ai revu avec grand plaisir Loctudy notamment, où j’ai quelques souvenirs. Nous aurons je pense l’occasion de reparler de tout ça après le topo qu’André Gunthert doit faire sur le sujet. Ça ne peut pas nous faire de mal !

    Envoyé par Erwan, le 26.02.2008 à 19.08 h
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