Mots d'images


J’avais 10 ans quand j’ai vu cette image. Depuis, je n’ai plus regardé le monde tout à fait de la même façon. Ce beau garçon, de quelques années mon aîné, était très rapidement devenu mon héros. Il aurait fait un chef de bande formidable et pas une bande d’aucun quartier de la ville ne nous aurait résisté. Mais j’ai très vite été saisi d’effroi quand on m’a expliqué que chez lui c’était la vraie guerre et que son flingue était un vrai. « ...un vrai pour tuer ». Souvent, j’allais regarder cette image et je restais pensif en me demandant ce qu’était devenu mon copain. J’ai bien dû faire quelques cauchemars.

Mon Che

Peu de temps après, mes parents ont accueilli dans leur petite entreprise un nouvel employé, un réfugié hongrois. Zoltan était un gars brillant, gentil, jovial, trop cool quoi (mais on ne disait pas comme ça). Souvent on lui demandait de nous raconter... Je pouvais rester des heures à ne pas croire que de telles atrocités fussent possibles. Pour le gamin que j’étais, tout ce que j’entendais là, venait gonfler la force de cette image. Je me demande si je n’ai pas secrètement décidé que Zoltan c’était lui, le garçon au fusil... et que ce transfert m’a aidé à croire qu’il s’en était sorti vivant. Après quelques années Zoltan est parti plus loin, en Amérique ou il a eu une vie bien remplie, à ce que je sais.
Moi je n’ai plus trop pensé à cette image. Mais je ne l’avais pas oubliée. Quand j’ai vu arriver ce 50e anniversaire, j’ai consacré plusieurs heures à passer en revue toutes les images de Hongrie disponibles en ligne. Rien. Pourtant je n’avais aucun doute sur sa réalité, j’aurais pu la dessiner. Il y a quelques jours, je suis entré, presque par hasard, dans une exposition commémorative de la révolution hongroise et là je l’ai reconnue tout de suite. Il était temps, l’exposition se terminait le même jour !
Cette version de l’image, en couverture du magazine L’Illustré, du 15 novembre 1956, est colorisée. Je l’ai peut-être vue à l’époque, mais je me souviens surtout d’une autre version en noir et blanc contenue dans une petite brochure avec une couverture aux couleurs du drapeau hongrois. Si je vous raconte cette histoire, ce n’est pas pour m’épancher sur ma vie intime. C’est parce que cette image m’a éveillé au monde. C’est pour parler de la force des images.

Béat Brüsch, le 15 novembre 2006 à 11.20 h
Rubrique: A propos d’images
Mots-clés: guerre , photojournalisme
2 commentaires
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    Je suis à la fois très touchée et très heureuse de voir la photographie de ce jeune gymnasien (je suppose) prêt à sacrifier sa vie pour quelque chose qu’il n’a jamais connu : la Liberté. On ne sait pas s’il a survécu, s’il avait fui, resté en Hongrie ? As- t-il fait de la prison comme tant d’autres de son âge ? Triste à dire, mais cette photo fut certainnement utilisée par le régime Kàdàr pour le retrouver.
    Mais laisser la sur votre blog, qu’il soit vivant ou mort, ce jeune homme est le symbole de la spontanéité, de la pureté, de l’innocence qui caractérisent notre inoubliable Révolution de 1956. La sensibilité du photographe qui someillait en vous il y a 50 ans a su capter, sans le nommer peut être, cette Vérité. Merci d’avoir gardé votre idéal durant ces 50 ans. En guise d’adieu, je me permets de citer Endre Ady, un grand poète hongrois du début du XXème siècle, que je vous livre en ma traduction approximative :

    "rude est la lutte, mais la Vie en vaut la peine, si nous restons ce que nous fûmes jadis : un étudiant combatif, à l’esprit noble et indépendant.

    Avec mes meilleurs pensées
    Maria

    Envoyé par Maria, le 20.11.2006 à 11.25 h
    2

    Tu ne m’avais jamais parlé de cette histoire... je me souviens assez bien de Zoltan qui doit être aux states, ca serait bien d’essayer de le retrouver...

    Envoyé par doris, le 14.12.2006 à 18.05 h