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Arles 2009

40 ans de Rencontres, 40 ans de ruptures, c’est ainsi que les Rencontres d’Arles se présentent cette année. Cette dualité Rencontres/Ruptures, est un vaste fourre-tout qui permet d’englober à peu près tout ce qui touche à la création photographique. Mais ne vous enfuyez pas ! Cette absence de thématique visible, certes regrettable, ne nuit pas aux qualités intrinsèques des expositions prises isolément. 2009 m’a semblé plutôt un bon cru. Si pour les organisateurs la catégorisation des photographes dans ces 2 groupes (et sous-groupes) semble à peu près cohérente, elle ne l’est pas du tout pour la plupart des visiteurs, bien trop occupés à s’y retrouver dans le plan des expositions, qui bien sûr ne recoupe en rien la thématique supposée. Petit retour vers les expositions qui m’ont marqué...


Robert Delpire

est l’objet de plusieurs expositions. Les photographes, mais aussi les graphistes, illustrateurs et autres designers doivent beaucoup à cet éditeur et directeur artistique touche-à-tout. Le grand public connait surtout la collection Photo Poche qu’il édite depuis 1982. Mais il a commencé dès les années 50 en éditant des photographes peu connus à l’époque, tels que Cartier-Bresson, Brassaï, Doisneau, Lartigue, Bischof ou Robert Franck (Les Américains). Il fut un brillant directeur artistique publicitaire. Ses pubs pour Citroën (dont quelques exemples sont exposés) sont insurpassées sur le plan formel et pour leur souffle novateur. Beaucoup de pubs d’aujourd’hui ont l’air bien convenues et frileuses à côté. Dans les années 70, il fit aussi beaucoup pour promouvoir les livres pour la jeunesse, alors en plein renouveau, avec des illustrateurs tels que Maurice Sendak (Max et les Maximonstres), Gervasio Gallardo, André Le Foll, Étienne Delessert, etc.

Nan Goldin

Autant dire tout de suite que je goutte peu aux photos de Nan Goldin. Ni ses hantises, ni leur forme ne me touchent. Commissaire invitée de ces Rencontres, elle a aussi le privilège d’y inviter ses amis. Je m’attendais au pire et je fus bien servi ! Mais j’y ai quand même trouvé quelques pépites fort respectables telles que Christine Fenzl (Streetfootball) ou Boris Mikhailov. La belle découverte fut pour moi la série de photos de Camden de...

Jean-Christian Bourcart

Il raconte : « C’est absurde, mais j’ai juste cherché sur le Web la ville la plus dangereuse des États-Unis. Je voulais retrouver cette étrange énergie qui se dégage des lieux où les règles et les contraintes sociales sont abolies ou affaiblies. Un sentiment de liberté mêlé à l’excitation du danger. Je voulais m’assurer qu’il est encore possible d’aller vers les autres, si éloignés, si étrangers qu’il nous paraissent. En tête de liste, j’ai trouvé Camden, New Jersey, à deux heures de New York... » Sa série est émaillée de ses textes manuscrits. C’est peut-être ce qui fait la magie de cette série et son humanité. C’est tout bête : quand on peut lire l’histoire qui se passe autour des photos et dans la tête du photographe, ça fonctionne bien mieux !

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Une autre exposition de Jean-Christian Bourcart se déroule dans un autre lieu. On y voit des images de la série Traffic : portraits de passants photographiés derrière la vitre de leur voiture au feu rouge ou de l’autobus qui passe. On croit pénétrer dans un petit bout de leur intimité, mais il y a toujours une vitre qui nous sépare d’eux. D’ailleurs, on ne fait que se croiser sans jamais pouvoir s’arrêter. Jean-Christian Bourcart est français, il vit et travaille à New York. D’autres séries bien vues sont à voir sur son site ici. On y retrouvera, par exemple, celle qu’il exposait aux Rencontres de l’année passée : The Most Beautiful Day of my Life, photos de mariages pas assez réussies pour être vendues.

Les expositions du Prix Découvertes de cette année m’ont paru d’un très bon niveau et ont retenu longuement mon attention, et ce, malgré la chaleur toujours accablante des Ateliers. Dans cette section, les photographes (ou artistes utilisant la photographie) « émergents » sont présentés et parrainés par un ancien directeur artistique des Rencontres.

Adrien Missika

(présenté par Michel Nuridsany), avec sa série Space between, nous emmène dans des espaces incertains, sans repères spatio-temporels, qui pourtant attisent notre curiosité par leur étrangeté. Nous nous attendons à trouver des images documentaires alors que leur provenance n’est souvent qu’un « recyclage » d’objets n’ayant rien à voir avec ce que nous pensions qu’ils fussent. Son site propose d’autres étranges images. Adrien Missika est français et vit en Suisse à Genève.

Magda Stanova

(présentée par Joan Fontcuberta) réfléchit aux diverses fonctions et attentes suscitées par la photographie. Ses textes sont présentés, sous forme manuscrite, accompagnés de petites photos ou dessins, dans une série sous-verres qui évoque les pages d’un grand cahier tenu par une collégienne appliquée. Mais la comparaison s’arrête là, car les réflexions de Magda Stanova sont frappées au coin du bon sens. Elles témoignent d’une grande fraîcheur d’analyse et dénotent un don d’observation aiguisé.

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© Magda Stanova

Rien d’étonnant à ce que la jeune artiste ait été repérée par un Joan Fontcuberta, brillant théoricien des images et illusions photographiques. Son site est à voir ici, mais je n’y ai pas trouvé le travail exposé à Arles. Magda Stanova est née en Slovaquie. Elle étudie à Bratislava, à Zürich et actuellement à San Francisco.

Rimaldas Viskraitis

(présenté par Martin Parr) nous fait visiter les fermes d’un autre âge des campagnes de Lituanie. On y rencontre des habitants démunis de tous les gadgets de la civilisation moderne. Ils semblent loin d’en être malheureux. L’alcool est produit à la ferme et préside à des fêtes qui nous paraissent un peu délurées, voire irréelles. Certains lendemains doivent être bien difficiles, mais c’est sûrement le seul prix qu’on puisse payer pour exister, pour tenir, pour faire du ciment social, quand on vit dans le dénuement. Ses personnages, bien qu’ils nous paraissent un peu étranges dans leurs comportements, suscitent une empathie immédiate. Rimaldas Viskraitis vit et travaille en Lituanie. Avec cette contribution, il remporte le Prix Découvertes. On peut voir quelques images de cette exposition ici.

Véronique Ellena

(présentée par Christian Lacroix) montre ici une série de natures mortes, tout à la fois sobres et chargées. La simplicité extrême des compositions, frontales, centrées, comme allant de soi, nous fait pénétrer au coeur du sujet (simple, lui aussi). Mais celui-ci entre véritablement en résonnance avec son environnement par le jeu des matières dont les structures de surface nous font apparaitre toute la complexité d’une organisation qui n’a rien de lisse. Ainsi, cet apparent dépouillement nous fait paradoxalement ressentir toute la complexité qui va de la vie à la mort (rien que ça !). Véronique Ellena vit et travaille en France. Beaucoup de belles séries sur son site, dont celle (Natures Mortes) exposée à Arles.

Yang Yongliang

(présenté par Claude Hudelot) nous présente des photomontages d’immeubles-tours et autres gracieusetés architecturales pour pays en mal d’affirmation de niveau de développement. Ses compositions s’inspirent des règles esthétiques du shanshui. J’ai trouvé cela totalement, vraiment, mais complètement kitsch ! Qu’on me pardonne cette appréciation à la louche, car il semble que je ne sois pas tout à fait équipé culturellement pour comprendre cette esthétique et cette démarche. Le site de Yang Yongliang se visite ici. Il vit et travaille à Shanghai en Chine.

Restons dans les Ateliers pour signaler d’autres expositions valant de braver les conditions climatiques...

Brian Griffin

pour « son approche non conventionnelle du portrait institutionnel ». Cette série (St.Pancras) est à voir sur son site, ici.

Martin Parr

s’est immergé dans des réceptions mondaines. Anthropologie chez les tribus bling bling et autres groupes apparentés. La série Luxury, est présentée en projection avec une création sonore de Caroline Cartier. Certaines photos sont visibles sur son site, ici.

Joan Fontcuberta

présente un projet qui part de la scène où Thomas, le photographe du film Blow Up d’Antonioni, réalisait des agrandissements. En reprenant ces agrandissements, à partir d’un duplicata en 35 mm du film, Fontcuberta atteint les limites de l’intelligibilité du matériel filmique et nous fait prendre pleinement conscience d’une des frontières de la représentation. On peut se demander pourquoi il ne s’est pas immiscé plus profondément dans la fiction en reprenant directement les photos utilisées dans le film... Le résultat visuel final aurait toutefois été le même. Ces photos pourraient être retrouvées ou reconstituées, elles ont été prises par Don McCullin qui avait été engagé sur le film pour cela.

Giorgia Fiorio

poursuit une longue quête à travers le monde pour recenser les diverses manifestations des communautés humaines dans leur relation au sacré. Magnifiques photos de ce qui fait l’essence des civilisations.

Attila Durack

a visité les peuples de la Turquie et de l’Anatolie. Il en rapporte de splendides portraits de groupes soulignant à la fois leur singularité et leur ouverture. Petite réserve : les grands formats, montés sous un plexi ultra brillant, présentent des couleurs un poil trop claquantes. On peut voir quelques photos du projet Ebru ici.

Plus je parcours le programme des Rencontres et plus je me convaincs que cette histoire de Rencontres/Ruptures est vraiment capilotractée et, pour tout dire, contreproductive ! (p. ex. je ne comprends pas que la section Prix Découverte, soit classée dans Rencontre plutôt que dans Ruptures !) Même la production qui aujourd’hui nous parait académique a un jour été dans la rupture. Il est pratiquement impossible pour un photographe d’émerger s’il ne se situe pas à un certain moment, voir en permanence, dans ce type de démarche consistant à se démarquer du « classicisme » des anciens. Mais il ne faut évidemment pas que cette rupture soit le seul moteur créatif, car on obtient alors un discours vide de sens, dont le seul moteur est la provocation. Il y a quelques photographes à Arles cette année, qui me semblent bien installés dans cette logique. Le seul intérêt de la prise en compte de cet aspect est peut-être historique... Il peut être, en effet, intéressant d’analyser comment et pourquoi un photographe se trouve en rupture à un instant T et comment s’articule sa démarche. Mais bon... il s’agit là d’un débat bien spécialisé qui n’est de toute façon pas mis en évidence dans la muséologie des Rencontres. Revenons au centre-ville...

Lionel Roux

présente des photos d’une grande beauté plastique qui sont le fruit d’un long travail sur les activités pastorales dans de nombreux pays tels que l’Éthiopie, la Grèce, l’Afrique du Sud, la Roumanie, l’Italie et la France. La place des transhumances y est revue à travers des réalités économiques et culturelles toujours vivaces dans ce siècle. On peut voir ses photos sur son blog (choisir un pays dans la colonne de droite). Lionel Roux est arlésien et vit toujours à Arles.

Duane Michals

continue de nous étonner avec ses séries poétiques, souvent drôles et incroyablement justes. À 70 ans passés, il parait d’une fraicheur juvénile tout en ayant la profondeur d’un vieux sage. Ses séquences de photos, souvent munies de textes manuscrits, découpées comme des scènes d’un film ou d’une BD racontent la vie, l’amour, la mort. La narration est limpide même quand les sentiments exprimés sont complexes et débouchent sur des abîmes de questionnements. Sous des dehors volontiers farceurs il exprime des états de la condition humaine dont le public saisit le sens instantanément, il suffit de voir les sourires amusés des visiteurs. On a peine à croire aujourd’hui que la production de Duane Michals ait pu bousculer le monde de la photographie. Mais peut-être que le public comprend spontanément des choses que les « spécialistes » ne peuvent valider qu’après d’initiatiques procédures ?

Without Sanctuary

est une exposition présentant des documents insupportables. Nous savions tous vaguement que des lynchages d’esclaves noirs avaient eu lieu il y a bien longtemps aux États-Unis. Les images que nous voyons dans cette exposition ne sont pas juste des photos documentaires de ces malheureuses victimes - ce qui en soi est déjà insoutenable - non, ce qu’on découvre est une véritable ferveur populaire qui entoure ces séances de tortures. Beaucoup de ces images sont des cartes postales qu’on s’échangeait volontiers, qu’on encadrait, qu’on plaçait en évidence chez soi, comme des trophées de chasse. Ces photos étaient également utilisées pour menacer les Noirs, faisant ainsi partie - de manière informelle - du dispositif répressif. L’apparition de la photo, qui correspond grosso modo à la date de l’abolition de l’esclavage (1865) apporte ainsi un certain réalisme à ces pratiques ignominieuses qui continuaient de proclamer la suprématie des Blancs pendant des dizaines d’années après l’abolition, jusqu’à ce que des pétitions y mettent fin, du moins légalement.
Pour vous réconcilier avec le genre humain, traversez la place pour visiter l’exposition consacrée à...

Willy Ronis

Tout a déjà été dit sur ce très grand photographe humaniste qui a couvert de son regard attentif et bienveillant une grande moitié du 20e siècle. Pour une courte biographie, je vous renvoie au billet que j’ai consacré à sa célèbre image Le nu provençal et aux liens en fin de billet. Willy Ronis a 99 ans cette année. Un important sponsor de l’exposition est un établissement d’assurance sur la vie - cela ne s’invente pas !

Rencontres photo d’Arles

Il y a 66 expositions. Elles sont ouvertes jusqu’au 13 septembre, mais attention, certaines ferment dès le 30 août ! Pour le programme complet, visitez le site des Rencontres.

Béat Brüsch, le 24 juillet 2009 à 12.52 h
Rubrique: Voir de ses yeux
Mots-clés: Arles , exposition , photographe
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