Mots d'images

Le cas de Carl Just dont on a parlé récemment en Suisse m’a interpellé et j’ai voulu en savoir plus. J’ai abordé plusieurs fois le photojournalisme de guerre dans ce blog et le fait que Carl Just ne soit pas photographe ne change pas grand-chose au fond.


Carl Just (52 ans) a été reporter de guerre pendant plus de 25 ans pour le compte de titres tels que Stern, Schweizer Illustrierte, Blick, etc. Ce grand reporter a ainsi suivi de très près les guerres, massacres et autres génocides qui ont ensanglanté le monde. Il a assisté aux guerres Iran-Irak dans les années 80, aux 2 guerres du golf et aux guerres de l’ex-Yougoslavie. Il a couvert les conflits libanais et israélo-palestiniens. En 2002, il reçoit le prix Ringier pour des « performances journalistiques exemplaires ». 2 ans plus tard, il est brisé, il souffre de stress post-traumatique. En juillet 2007 il est licencié par son employeur, le groupe Ringier [1]. Estimant que son employeur n’a pas reconnu sa maladie et que celle-ci était imputable à son travail, il se tourne vers le tribunal des prud’hommes. Lors du procès, le 4 septembre 2008, les avocats des 2 parties ont convenu d’un dédommagement dont le montant n’a pas été communiqué. [2] L’avocat de Carl Just a déclaré que cette transaction n’avait pourtant pas force de loi.

Le Post-Traumatic Stress Disorder (PTSD)

ou état de stress post-traumatique (ESPT), est une affection qui est bien connue dans les pays ayant une armée en guerre. Sa réalité est vieille comme le monde, mais son étude et sa reconnaissance sociale sont plutôt récentes. De la part des autorités, cette reconnaissance est souvent difficile, surtout pour des motifs de propagande négative qu’on peut aisément imaginer mais aussi pour de simples raisons pécuniaires. Le public est cependant sensibilisé aux problèmes des retours de guerre depuis celle du Viet Nam qui a engendré bon nombre de films qui rompaient avec une tradition du film patriotique hollywoodien. Ces films abordent de différentes manières les problèmes soulevés par le PTSD, que celui-ci survienne pendant les combats ou au retour de guerre. Le cinéma ayant joué un rôle majeur dans la reconnaissance de ces troubles, je m’en remets à un texte consacré au cinéma [3] pour citer une définition du PTSD :
« ... Le PTSD est défini comme une névrose de guerre chronique attenante à toutes les misères et horreurs subies pendant les hostilités ou à l’effroi éprouvé lors d’un évènement unique, tel que combat rapproché, embuscade, bombardement, arrestation, déportation, torture. La névrose se déclenche après un temps de latence qui peut aller de plusieurs mois à quelques années et se traduit par des souvenirs obsédants, des visions hallucinées, des cauchemars, des accès d’angoisse ou d’irritabilité, un sentiment d’insécurité permanent, une peur phobique de tout ce qui rappelle la guerre ou la violence, l’impression d’être incompris, une forte lassitude, ainsi qu’une tendance au repli sur soi dans d’amères ruminations. Si auparavant les médecins mettaient ces symptômes sur le compte de la dépression, l’apparition croissante des séquelles tardives des vétérans du Vietnam entre 1975 et 1980 attirèrent l’attention des professionnels de la santé mentale, de l’administration des vétérans et des pouvoirs publics. Au lieu de prescrire aux vétérans des antidépresseurs qui ne font qu’écrêter les symptômes sans résoudre la cause du mal, on a pu mettre en place un accompagnement psychiatrique adapté. On utilise par exemple "la propre parole du patient (verbalisation cathartique) pour lui faire prendre son indicible trauma à son compte, lui qui, ancré dans son statut de victime, n’en voulait rien savoir"... »
Voilà pour les soldats.

Ce qu’on sait moins, c’est que les journalistes

confrontés aux mêmes horreurs peuvent développer les mêmes traumatismes. [4] S’ils sont journalistes de guerre et donc exposés de manière répétée, les risques sont évidemment plus marqués. Selon une synthèse de différentes études présentée par le Dart Center [5] :
- Seuls 5.9% de photojournalistes exposés à des événements tragiques présentent des risques de développer un PTSD. Ils sont 4.9% dans la presse écrite.
- S’agissant de reporters de guerre, les risques pour le PTSD se montent à 28%, les risques de dépression à 21% et les risques liés à l’alcool et aux autres drogues à 14%. Sources et page complète ici. Une autre étude a par ailleurs montré que les journalistes de guerre « embedded » présentaient les mêmes taux de risques de développer un PTSD que les autres.

Les problèmes liés au PTSD des journalistes sont peu pris en compte de ce côté de l’Atlantique. Carl Just déclarait dans une interview télévisée (v. plus bas) : « J’ai eu la malchance de tomber - dans cette Suisse pacifique - sur un éditeur relativement petit, d’un point de vue international, et d’incarner le premier cas (ndlr : de PTSD). Je dois assumer cela. Je le fais... Comme si je n’avais pas déjà assez fait la guerre ! »

Les Américains sont des pionniers en la matière, normal, ils sont aussi les plus belliqueux ! [6] On y trouve bien sûr de nombreux organismes (privés, associatifs, charitables et même gouvernementaux) s’occupant des soldats de retour de guerre. Depuis le début des années 90, les reporters de guerre y bénéficient de structures spécifiques. Les grands groupes de presse d’outre-Atlantique en sont partie prenante et ont mis en place des procédures de diagnostic pour les journalistes exposés ou l’ayant été. D’autres mettent sur pied des cours préventifs pour apprendre à gérer des situations de grand danger. Les photographes (et cameramen) de guerre sont plus exposés que d’autres journalistes de guerre, car ils sont obligés de travailler très près des dangers. Et le Dr Feinstein [7] de rappeler le mot de Capa : « Si vos photos ne sont pas assez bonnes, c’est que vous n’étiez pas assez près. »

Dans une interview

réalisée par le Tages Anzeiger [8], Carl Just nous raconte sa vie actuelle, retiré à la campagne, loin du fracas du monde. Il détaille quelques cauchemars post-traumatiques qui le font replonger régulièrement, puis il nous parle métier. Extraits...
« – Pourquoi êtes-vous devenu reporter de guerre ?
– Quand j’étais jeune homme, j’étais persuadé qu’il suffirait que j’écrive 4 articles contre Le Mal pour que le monde devienne meilleur. J’étais politiquement très à gauche. Plus à ma gauche, il n’y avait guère que le mur de Berlin. À l’époque, certains films qui honoraient les reporters de guerre étaient populaires : par exemple, « Under Fire » avec Nick Nolte. C’est cet amalgame qui m’a fait devenir reporter de guerre. Quand, de retour du front, je rentrais à la maison ou au bar de l’hôtel, j’étais un héros pour les gens : quand je racontais, ils étaient suspendus à mes lèvres. Et les plus belles femmes étaient à mes pieds. C’est ainsi qu’on devient un macho.
– Étiez-vous devenu accro à ce style de vie ?
– (...) L’adrénaline provoque-t-elle une dépendance ? Probablement oui. En tant que reporter de guerre, tu finis par devenir arrogant et présomptueux : parfois quand je me trouvais en Suisse, je disais aux gens : « Que sais-tu donc des vrais problèmes de ce monde, la Suisse est tellement ennuyeuse ». Tu te mets alors en quête d’un « shoot » d’adrénaline et tu repars dans une région en guerre.
...
– On reproche aux reporters de guerre de se laisser embrigader par les parties et de témoigner unilatéralement. Étiez-vous un journaliste « embedded » ?
– L’opinion est fabriquée loin du théâtre des opérations. Les rédacteurs en chef dînent avec des politiciens importants et décident ensemble qui est le gentil et qui est le méchant. De retour à la rédaction après un reportage, mon chef me racontait ce qu’il en était de la situation sur place, là d’où je revenais. Ils construisaient l’histoire que je devais raconter. Longtemps je n’ai pas remarqué que j’étais manipulé par la rédaction. En même temps, ils me célébraient comme leur envoyé spécial (Mann vor Ort). »

La veille de son procès, la TV Suisse alémanique a diffusé une interview de Carl Just que l’on peut voir ici. - Scrollez la page jusqu’à : Kriegsreporter gegen Ringier : Prozess wegen Kündigung. (Les réponses de l’interviewé sont en dialecte suisse allemand, une langue hors de portée des non-initiés ;-)

Pour Carl Just, dans ce procès il en allait de sa réhabilitation

et de ce point de vue, il est relativement satisfait. Mais le plus important pour lui était de lancer ce thème du PTSD. On a ainsi pu apprendre à quels risques les journalistes en terrain de guerre pouvaient s’exposer en plus des dangers physiques immédiats.

C’est un début. Le procès ne fera pas jurisprudence. D’après ce qu’on peut constater en lançant quelques recherches sur internet, en Europe, le sujet du PTSD des journalistes reste très confidentiel, cantonné à quelques publications scientifiques s’adressant à des chercheurs. (Mais c’est bien volontiers que je publierai un démenti à cette affirmation ;-)

Notes:

[1] Ringier (Blick, Schweizer Illustrierte) est le plus grand éditeur de presse suisse. (Edipresse est le 2e, alors que Tamedia, éditeur du Tages Anzeiger est le 3e.)

[2] Carl Just réclamait 200’000 francs suisses.

[3] Il était une fois le cinéma - Les traumatismes psychiques de guerre dans les films américains de 1975 à 1980 : vers une reconnaissance sociale des vétérans du Vietnam - Article de Rémi Forte

[4] Des catégories de personnes de la vie civile sont évidemment concernées aussi : victimes ou témoins de prises d’otages, d’accidents, de catastrophes naturelles, d’attentats, de viols et de toutes formes de violence.

[5] Le Dart Center est un réseau de journalistes, formateurs de journalistes et professionnels de la santé s’occupant de tous les aspects de la couverture médiatique d’évènements tragiques. Il s’inquiète aussi de l’impact qu’ils peuvent avoir sur les journalistes qui couvrent ce type d’événements.

[6] J’aimerais trouver une étude qui recenserait les jours ou ce pays n’est pas en train de guerroyer quelque part !

[7] The War Inside - article en anglais sur les travaux du Dr Feinstein. Le Dr Anthony Feinstein est un spécialiste du PTSD, qui préside un site internet - sponsorisé par CNN - que les journalistes peuvent utiliser pour une auto-évaluation de leurs risques de présenter des syndromes en rapport avec le PTSD.

[8] Tages Anzeiger - Schweizer Starreporter : Immer wieder den Krieg im Kopf - Interview Dario Venutti. Aktualisiert am 11.11.2008

Béat Brüsch, le 17 novembre 2008 à 23.34 h
Rubrique: A propos d’images
Mots-clés: guerre , photojournalisme , société
Commentaires: 2
Oeuvres orphelines

Ces dernières années, on a beaucoup parlé des droits d’auteur sur la musique (téléchargements). Cela peut s’expliquer, en partie, par l’énormité des marchés concernés et leur concentration aux mains de quelques très grosses sociétés, puissantes et pas prêtes à céder leurs intérêts (les majors). Les droits sur les images représentent globalement d’assez grands intérêts aussi, mais ils sont très épars. Souvent ils sont gérés par les créateurs eux-mêmes (pas très doués en la matière) ou se répartissent en petites entités disparates ayant du mal à se faire entendre, ce qui les rend vulnérables. D’une part, les nouvelles technologies induisent de nouveaux usages qui ne tiennent pas grand compte du droit existant. D’autre part - et ce, depuis bien plus longtemps - des groupes d’intérêts, principalement éditoriaux, tentent toujours d’affaiblir le droit d’auteur. Quelques faits récents ajoutent des pièces à ce dossier et exigent même qu’on s’inquiète.


Petit compte rendu d’une décision de justice repris aussi par quelques sites francophones, dont celui-ci, d’où je tire la traduction suivante : « Google vient successivement de perdre deux procès en Allemagne pour son outil de recherche d’images en ligne. Le premier concerne le photographe allemand Michael Bernhard qui reprochait au moteur le fait que l’on retrouve une de ses photos sous copyright sur l’outil de Google. Thomas Horn, détenteur des droits de certains comics, faisait des reproches identiques au moteur américain. »

Bonne nouvelle serait-on tenté de dire, si l’on est un défenseur intégriste du droit d’auteur ! Mais ce serait aller un peu vite en besogne, car il est sûr que Google usera de toutes ses forces pour recourir contre cette décision, c’est son essence même qui est en jeu. Et il aura l’écrasante majorité des internautes avec lui. Tout cela n’a pas échappé à Marin Dacos - La Feuille - qui pose quelques bonnes questions et qui conclut par : « Et si la question n’était pas juridique ? »

Il s’agit ici du droit de citation,

qui est une sorte d’« exception permissive » à l’intérieur du droit d’auteur, prévue par les lois de la plupart des pays connaissant le droit d’auteur. Si tout le monde est à peu près d’accord sur la notion de citation textuelle, il n’en va pas de même pour les citations d’images. Comment citer des images ? Dans quel contexte peut-on citer des images ? Les citer en petit format ? Bien qu’imparfaite, l’idée parait séduisante et l’analogie avec la citation textuelle semble justement proportionnée, mais tous les pays ni tous les détenteurs de droits ne s’y résolvent. Les chercheurs du domaine de l’image réclament un droit de citation pour leurs publications scientifiques. Mais les journalistes faisant oeuvre de critique d’images, ne devraient-ils pas disposer de ces mêmes droits de citation ? Et les blogueurs qui parlent des images ? ;-)

Google, en tant que site d’indexation, s’est « arrangé » avec ce droit de citation, tant pour le texte que pour les images. Certes, le droit américain est plus permissif (fair use) et permet probablement les pratiques de Google. De fait, c’est donc le droit américain qui régit ces pratiques dans toutes les parties du monde où l’on reçoit Google ! [1] Et les internautes, vous, moi, en redemandent... preuve en soit, cet article qui (relatant la décision de justice dont je parle au début de mon billet) commence très fort en affirmant : « Encore un bel exemple du progrès frustré par le droit d’auteur. » Cette affirmation, un tantinet réductrice (ainsi que les commentaires qui suivent l’article), donne un ton qui est, qu’on le veuille ou non, très représentatif du courant dominant chez l’internaute Lambda. [2] La pratique de la citation est en voie de généralisation sur les blogs et sur tous les sites dits « non commerciaux » et cela, en parfaite connaissance de son caractère illégal. On peut être sûr que, sous diverses pressions et à cause de la difficulté des poursuites - trop de cas, pour des montants trop faibles - ce droit de citation va s’établir progressivement partout. De leur côté, les « institutionnels » ou les « commerçants » scrupuleux, pour qui il n’est pas possible de se mettre hors la loi, feront tout pour faire amender ce droit.

Voilà sommairement, pour le droit de citation des images. Mais ce qui advient dans ce contexte, presque marginal du droit d’auteur, n’est pour moi qu’un laboratoire de ce qui arrive au droit d’auteur des images dans son ensemble...

Diverses pratiques, observées massivement sur internet,

entrainent une disqualification progressive de ce droit d’auteur. Il n’échappe à personne que le « pompage » d’images y est généralisé. La mise en place des règles des Creative Commons n’est rien d’autre que la (tentative de) mise à niveau du droit. Elle a le grand mérite de prôner une séparation claire des utilisations commerciales et non commerciales et de rendre attentif à l’obligation de la mention de l’auteur. C’est déjà çà et on peut regretter que cette approche ne soit pas mieux comprise et utilisée, tant par les amateurs que par les professionnels.
• Les sites qui comme Youtube ou Flickr proposent des images ou des vidéos embedded, c’est-à-dire des contenus qu’on a le droit de relayer directement depuis son site aussi simplement qu’on le ferait avec la photo de son chat, contribuent (même si ce n’est pas leur but) à jeter de la confusion sur les notions de droit d’auteur. Certains utilisateurs ne saisissent pas complètement la différence entre l’embedding et l’appropriation pure et simple d’images « trouvées » sur le net.
• De nombreuses institutions publiques principalement anglo-saxones [3] ont déjà mis leurs collections de photos en ligne, souvent en libre accès (sous Commons). On ne peut évidemment que s’en réjouir. Mais bientôt, le public ne va plus comprendre pourquoi ces photos-là sont libres, alors que d’autres ne le sont pas et que d’autres encore le sont sous certaines conditions.
• Je ne reviendrai pas ici sur les droits liés à la musique (dont il a été largement traité ailleurs) si ce n’est pour relever qu’en la matière, le public est au moins d’accord sur le fait que la musique est le fruit d’un travail créatif qui n’est pas à la portée du premier venu et qui mérite d’être rétribué d’une manière ou d’une autre. Ce n’est plus la même chose pour la photographie, car, avec la formidable extension de la photo numérique on assiste à une banalisation extrême du geste photographique. Il est devenu tellement facile aujourd’hui d’obtenir une photo à peu près correcte et immédiatement exploitable, que beaucoup se demandent pourquoi on paierait encore quelqu’un pour le faire (ou l’avoir fait). On assiste à un grand paradoxe : d’un côté, la photo créative n’a jamais été aussi trendy (reconnaissance, prix, expositions, marché, galeries, etc), alors que dans les pratiques de tous les jours (utilitaires, pourrait-on dire) l’usage de la photo est devenu trivial. Il y a donc d’un côté, les « belles photos » que l’on respecte, et de l’autre, toutes les photos « normales » dont tout le monde peut disposer à sa guise. Bien évidemment, chacun fait valser les photos d’une catégorie à l’autre au gré de ses aspirations (arbitraires) ou de ses besoins momentanés.

Cette perception confusionnelle du statut des photos est relativement nouvelle. Elle est bien sûr très marquée sur internet, mais elle tend à s’étendre à d’autres sphères. L’affaiblissement des positions des détenteurs de droits qui en résulte n’a pas échappé à certains milieux ultralibéraux qui bataillent depuis toujours pour une dérèglementation du droit d’auteur à leur profit. Leur dernière grosse (grossière ?) attaque envers le droit d’auteur des images est arrivée des États-Unis vers le mois d’avril de cette année. Elle a fait l’objet de plusieurs alertes sur internet (en partie relatées sur ce blog). C’est l’affaire des oeuvres orphelines.

Une oeuvre orpheline

est une oeuvre protégée par le copyright, dont il est difficile, voire impossible de déterminer le détenteur des droits. Jusqu’à aujourd’hui, en conformité avec la Convention de Berne, toute oeuvre (...) est automatiquement protégée, du moment qu’elle existe (je simplifie). Ce principe rend l’usage d’oeuvres orphelines assez difficile, car il faut effectuer d’intenses recherches, pour au final, ne pas toujours trouver les ayants droit. Si l’image est déclarée orpheline, l’éditeur n’est pourtant pas à l’abri de surprises quand un ayant droit se déclare soudain. Le problème est peut-être bien réel, mais on perçoit immédiatement que la solution proposée poursuit des buts bien différents... Le projet de loi présenté au sénat américain propose de créer des bases de données d’images (payantes) dans lesquelles toutes les oeuvres protégées devront être inscrites pour être légalement protégées ! Je vous la redis pour que ce soit bien clair : Toutes les oeuvres non déclarées, quelle que soit leur provenance (le monde entier), pourront être utilisées sans copyright sur le sol américain ! Cela a créé une forte mobilisation de toutes les associations concernées aux États-Unis. Il semble qu’en Europe, on ne se sente que modérément touché... Pour beaucoup de photographes, le marché américain n’est pas une préoccupation. Mais ils changeront peut-être d’avis quand des éditeurs européens auront délocalisé leurs activités sur le sol américain... ou quand les grandes agences de pub feront travailler leur maison mère américaine avec des images « trouvées » en Europe !

Le Sénat américain ne s’occupe pas que des soubresauts de l’économie, le 26 septembre il a admis cette loi sans opposition ! Elle devrait bientôt être présentée à la Chambre des Représentants puis au Congrès. L’entrée en vigueur pour les oeuvres graphiques et photographiques est prévue pour le 1.1.2013. Le minimum serait certes de pétitionner - pétition ouverte au monde entier en ligne ici. Mais je pense qu’aujourd’hui, il est plus urgent et utile d’actionner des leviers politiques, en soulignant que cette loi, si elle est finalement adoptée, non seulement violerait les conventions internationales, mais affaiblirait considérablement le statut des créatifs du monde entier. Pour info : les 2 plus grandes banques d’images, Corbis et Getty, sont favorables à cette loi.

Si vous pensez que le phénomène des oeuvres orphelines et la tenue d’un registre des oeuvres à protéger est marginal, détrompez-vous. Olivier Ertzscheid, sur affordance.fr nous raconte combien Google a bataillé (et payé, finalement pas cher au regard des bénéfices attendus) pour pouvoir devenir à la fois le plus grand bibliothécaire et le plus grand libraire du monde ! Mais les livres, ce n’est qu’une étape. Le prochain objectif de Google, ce sont les films et la musique. Pensez-vous que les images (qui ne bougent même pas !) vont peser lourd dans cette bataille, si même le Congrès américain prépare le terrain à Google ?

Liens utiles :

Dont certains déjà cités plus haut

• Droit de citation
Pour un droit à la critique des images - ARHV - 24.09.2007
La publication scientifique en ligne face aux lacunes du droit français - ARHV - 22.08.2008

• Oeuvres orphelines
Dossier : Orphan Work Bill - bulb - 07.06.2008
Nous voulons vos photos - Edito de Photographie.com - 09.10.2008
Main basse sur les images orphelines - Bon article de Télérama que je viens de trouver et qui vous confirmera que je ne vous raconte pas des salades ;-)
A Million People Against the Orphan Works Bill - Pétition en ligne ouverte à tout le monde
Orphan Works Opposition Headquarters - Un des sites des opposants - La pétition qu’on y trouve ne convient pas aux extrazétazuniens. Par contre on peut y inscrire des Associations de tous pays !
Illustrators’ Partnership Orphan Works Blog - Autre site d’opposants - avec une lettre type pour artistes internationaux

• Documents droit d’auteur
Loi fédérale sur le droit d’auteur et les droits voisins - La révision partielle du droit d’auteur est entrée en vigueur le 01.07.2008
Page suisse de Creative Commons
Page française de Creative Commons
Page dédiée au droit d’auteur de Photoreporters - Swiss Press Photogaphers

Notes:

[1] Avec quelques exceptions douloureuses dans certains pays dictatoriaux.

[2] L’internaute Lambda est celui qui est habitué à recevoir tout gratuitement, sans s’être jamais posé de vraies questions sur les coûts réels des choses, fussent-elles immatérielles. S’il peut être occasionnellement producteur de contenus de valeur, il ne l’est pas professionnellement. Il est, en général, incapable de mesurer l’investissement intellectuel et matériel que requièrent certains des biens qu’il consomme. Il n’a entendu parler de droits d’auteur pour la première fois que récemment, à l’occasion d’une quelconque histoire de musiques téléchargées sur internet. Ce n’est pas un mauvais bougre, plutôt sympa, mais sûr de lui, il est pour le progrès, contre la guerre, contre le cancer, etc. Et il est très « nombreux »... puisque nous avons tous en nous un peu d’internaute Lambda.

[3] Liste non exhaustive ici.

Béat Brüsch, le 30 octobre 2008 à 18.22 h
Rubrique: Droit des images
Mots-clés: blogosphère , copyright , droit
Commentaires: 21

Dans un billet récent, André Gunthert nous fait part d’un phénomène nouveau qu’on pourrait bien appeler l’imputation de retouche. Il nous signale que le site PhotoshopDisasters a cru déceler une retouche là ou il n’y avait qu’un effet de miroir un peu pernicieux. Nous sommes tellement sensibilisés aux possibilités de retouches d’images que nous pensons en voir là ou il n’y en a pas !

Une autre controverse autour d’une retouche - pour l’instant non avérée - est relatée ces jours par The Online Photographer (ici puis ici) : on croit la déceler sur un portrait de Bette Davis figurant sur un timbre-poste. La main de l’actrice semble y tenir une cigarette qu’on ne voit pas (plus ?). La position de la main est très ambigüe. Sur un autre blog, celui de Roger Ebert, il y a pour l’heure, 226 commentaires provenant principalement d’internautes choqués de ce révisionnisme. Quelques-uns pourtant, remettent l’existence de la retouche en question et tentent de nous montrer des images proches de « l’original ». On cite même un déni de retouche de la part d’une porte-parole d’US Postal Service qui a émis ce timbre. Attendons d’avoir d’autres éléments...

Les cas de photos de fumeurs célèbres auxquels on a retiré la clope sont nombreux et ont défrayé la chronique. Ne rappelons, de ce côté-ci de l’Atlantique, que ceux de J-P Sartre ou d’André Malraux (ce dernier, pour un timbre-poste justement).

Mais ce qui me frappe ici, quelle que soit l’issue de cette histoire, c’est qu’on puisse parler de retouche à propos d’une image qui n’est PAS une photo ! Car il s’agit bien d’une illustration, « faite à la main » (à la peinture à l’huile). Certes, le portrait est réaliste et pourrait passer pour de la photo aux yeux de spectateurs pressés ou inattentifs. Mais un oeil exercé y trouvera tout de même des effets de rendu ou de texture qui ne ressemblent que de loin à de la photo. La plupart des détails de facture qui pourraient « trahir » la peinture sont rendus invisibles par une réduction de format d’au moins 5 à 10 fois la taille de l’original. Évidemment, cela donne à la reproduction une grande finesse qui peut faire illusion. Les illustrateurs n’ont pas le temps et la possibilité de faire de la peinture de chevalet. S’ils veulent être réalistes, ils doivent se documenter avec... des photos. Souvent ils en utilisent plusieurs et tirent le meilleur de chacune pour en faire une sorte de synthèse, un composite. Ces éléments sont ensuite rendus plus ou moins fidèlement à travers divers effets, eux-mêmes conditionnés par les techniques utilisées et la vision qu’en a l’artiste. Dans les procédés utilisables en illustration, on ne retrouve donc pas cette continuité mécanique du sujet jusqu’au support final, chère à certains théoriciens de la photo. Les « interventions » sont ici constitutives du média utilisé. J’ai pratiqué longuement le métier d’illustrateur et jamais, même pour les rendus les plus réalistes, je n’ai pu constater ne serait-ce que le début d’une attente de véridicité ou d’objectivité de la part d’une illustration. Les frontières entre les illustrations dessinées et les photos ont toujours été très claires.

Mais cela se passait à la fin du siècle passé ;-) Les perceptions auraient-elles changé depuis l’arrivée du numérique ? Il y a certes des glissements qui se sont produits, mais ils sont principalement observables en présence de techniques dites de réalité augmentée. L’imagerie produite au moyen des médias de peinture traditionnels ne devrait pas être englobée dans ce type de perception...

Revenons au portrait de Bette Davis. Il est l’oeuvre de l’illustrateur Michael J. Deas qui réalise ses portraits en peinture à l’huile, dans la plus pure tradition américaine d’un style d’illustration qu’on pourrait qualifier de « réalisme romantique » et qui pour nous, peut frôler quelques fois le kitsch. Pour réaliser ce portrait il s’est assurément procuré nombre de photos, dont probablement celle-ci. Si ce n’est le cas, cela permet au moins de voir le travail d’interprétation qu’on peut réaliser à partir de photos.

La main - ou sa position - pose un réel problème. Comment un professionnel de ce niveau a-t-il pu choisir cette posture sans voir l’ambiguïté qu’il mettait en place ? Cela semble trop gros. Je peux vous dire qu’avant de se lancer dans la réalisation d’un travail aussi besogneux, on peaufine soigneusement ses croquis, pesant tous les aspects, afin « d’assurer » une réalisation sans repentirs. Tous ceux qui connaissent Bette Davis savent qu’elle était une grande fumeuse et que cela est justement attesté par de nombreuses photos. Michael J. Deas aura probablement eu le souci de la représenter dans une posture typique, donc avec une cigarette. Mais les gardiens de la morale sont infatiguables et n’ont jamais peur de passer pour des idiots révisionnistes !

Au final, qui aura fait la retouche ? L’artiste sur sa peinture à l’huile ou un retoucheur sur des pixels ? Dans les 2 cas, pourrait-on qualifier cela de retouche ? J’ai bien peur que oui. Cela propulserait la peinture vers de nouvelles perspectives objectivistes ;-) Va-t-on bientôt reprocher à Léonard d’avoir inventé un sourire à la Joconde ?


Addenda du 27.10.2008:

L’illustrateur Michael J. Deas répond à Mike Johnston de The Online Photographer : « ...I can unequivocally state that in the original reference photo Bette was not smoking a cigarette. It just ain’t so...though looking at the position of her fingers I can see why people might think otherwise. » Lire la lettre ici...

Il affirme donc sans équivoque que dans la photo originale, Bette n’avait pas de cigarette. C’est la stricte vérité et j’en prends acte. Mais, cela nous l’avions déjà vu. Tout comme nous voyons aussi que ce n’est pas du tout la même main qui a servi de modèle... Ah, quand le doute s’installe...

Béat Brüsch, le 27 octobre 2008 à 18.07 h
Rubrique: A propos d’images
Mots-clés: illustration , peinture , retouche
Commentaires: 1

Depuis un moment je me demandais quelles images pourraient filer les meilleures métaphores de la crise financière... Les photos platement illustratives de traders désespérés ont fait leur temps et n’amusent plus, ni n’apportent de vision éclairante sur le phénomène. [1] Et les vues de façades d’établissements bancaires sont aussi muettes que leur secret éponyme. J’aurais voulu voir les images de ces banquiers de 1929 qui se jetaient par les fenêtres... Mais on me dit que...« En 2008, les traders ne se suicident plus : ils revendent leur Ferrari avant de se refaire du blé avec un bouquin sur « Comment j’ai planté ma banque ! »... [2]
Devant ces désastres impondérables, autant prendre ses distances avec le réel et plonger dans des allégories salvatrices, fussent-elles explosives. En maître des apothéoses déflagrantes, Roman Signer nous procure une hauteur de vue saisissante, dont l’humour a un effet de résilience.

On peut voir le suicide d’une valise (ou son assassinat ?) comme un assouvissement par procuration, à moins que ce soit une nouvelle feinte pour gagner des paradis fiscaux... (Ne ratez pas la dernière seconde où l’on perçoit la satisfaction malicieuse de l’auteur ;-)

Aujourd’hui, quand des volets claquent ce pourrait être une banque qui ferme. Les chaises éjectables du conseil d’administration s’élancent dans un vol harmonieux, mais destructeur, car ici il n’y a pas de parachutes dorés.

Roman Signer est né en 1938 à Appenzell (Suisse) et vit à St-Gall. Il abandonne son métier de dessinateur-architecte pour entrer à la Kunstgwerbeschule de Zürich. Il réalise sa première exposition (j’allais écrire explosion !) en 1973. Depuis 1974, il est professeur à la Schule für Gestaltung de Lucerne. Les performances, installations et autres actions qu’il met en oeuvre ne sont en général pas publiques. C’est par le truchement de la vidéo, et plus rarement de la photo, qu’il les fait voir. L’humour qui se dégage souvent de ses actions n’est pas un but en soi. Il provient de la mise en scène très précise d’interactions inéluctables aux conséquences dérisoires. Ces scènes ne montrent rien d’autre que la vanité de l’action et de la condition humaine. On ne peut s’empêcher de rapprocher cette démarche de celle de ses compatriotes Peter Fischli et David Weiss.
Nous apprenons que Roman Signer fait partie des « nominés » du Prix Pictet 2008 (tiens une banque !). Les 18 photographes retenus seront exposés au Palais de Tokyo (Paris, France) du 30 octobre au 8 novembre 2008.

Les 2 vidéos ci-dessus sont extraites du film de Peter Liechti, Signers Koffer (1996). On peut voir d’autres vidéos ici. Celles de Fischli et Weiss, dont 2 extraits du fameux The Way Things Go sont visibles ici.

Notes:

[1] Olivier Beuvelet - Devant les images - se pose aussi des questions sur la représentation visuelle du krach.

[2] Bakchich-info - Adoptez un banquier ou les délices du SubprimeThon - par Arthur

Béat Brüsch, le 17 octobre 2008 à 01.43 h
Rubrique: A propos d’images
Mots-clés: Mise en scène , métaphore , vidéo
Commentaires: 1

Attention, ce jeu (est-ce un jeu ?) n’est pas forcément drôle, car il peut vous révéler de piètres performances visuelles... et si vous vous occupez d’images cela pourrait vous déstabiliser. C’est donc non sans une légère appréhension que je m’y suis attaqué : 0 faute, ouf ! Je ne suis pas condamné au noir/blanc pour le restant de mes jours ;-) Il s’agit de déplacer les carrés de couleurs, dans chaque bandeau, pour les ranger en dégradé entre les deux couleurs de référence qui sont fixées à chaque extrémité des bandeaux. Allez-y... mais ne venez pas pleurer après en disant que votre écran est tout pourri et qu’il était mal réglé ;-)
(Via The Online Photographer)

Pour en savoir plus, on lira utilement :
Notions de base sur la couleur, dont la conclusion est : « ...Tout ce processus naturel, massivement parallèle est difficilement reproductible par des moyens artificiels. Ceci fait donc la différence entre les hommes et les ordinateurs. Pourtant, l’avantage des systèmes automatique d’analyse de la couleur est la reproductibilité et l’objectivité des mesures. En effet, chaque individu étant unique, son interprétation de la couleur est également unique. De plus, le système visuel n’est pas exempt d’erreur : le daltonisme, résultat d’une mutation, montre la vulnérabilité de la physiologie humaine. Mais finalement, ce que nous définissons comme "voir" est en fait une construction du cerveau : la mémoire et "l’apprentissage" jouent un rôle majeur dans la vision. Ceci suscite une question importante d’ordre philosophique : qu’est-ce vraiment que la couleur ? »
• Le toujours excellent site dédié à la couleur : pourpre.com

Béat Brüsch, le 6 octobre 2008 à 13.00 h
Rubrique: Un peu de technique
Mots-clés: formation , technologie
Commentaires: 0
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