Mots d'images

histoires d’images, points de vue,


Je ne sais pourquoi, de retour d’une exposition du musée de l’Élysée j’ai pensé à la nouvelle photo officielle du Conseil Fédéral. J’avais pourtant juré que je ne parlerais plus de ce marronnier confédéral, cet étalage annuel de platitude illustrée. L’exposition que je venais de voir est vouée à la contre-culture en Suisse, un sujet bien éloigné, on le devine, d’une photographie officielle de gouvernement. Mais le cheminement des idées stimulées par les images ne se maitrise pas (et c’est très bien comme çà).

L’image de cette année représente un gouvernement sagement réuni devant une grande image de sous-bois printanier, comme celles qu’on peut trouver dans les bricocentres pour tapisser le mur de la chambre d’amis. Une vision lisse qui ne peut engendrer qu’indifférence et passivité. La presse ne s’est pas enflammée pour le sujet, loin de là. Mais je vois sur internet qu’une bonne partie des titres de la presse écrite romande se fendent d’un article… Las, c’est toujours le même papier à l’humour lourdingue qui est repris. (Normal, tous ces journaux appartiennent au même groupe de presse !)

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Photo Corinne Glanzmann

Dans l’exposition sur la contre-culture, quelques photographies nous montrent des personnages posant devant un fond, mais avec un cadrage élargi nous permettant de voir le dispositif de prise de vue : éléments d’intérieur, projecteurs, etc. Cette manière n’est certes pas constitutive de la contre-culture des années 60 à 70. (Elle doit être au moins aussi ancienne que la première prise de vue en studio.) Mais son utilisation, à fin de souligner l’artificialité d’une prise de vue, date probablement de ces années de contestation et de remise en cause. Aujourd’hui le procédé est devenu banal, tellement assimilé qu’on a un peu oublié sa signification. En se mettant en scène devant l’image d’un paysage, en soulignant par le cadrage qu’il s’agit bien d’une image, le conseil fédéral (ou sa photographe) nous donne à voir un artifice. L’a-t-il voulu ainsi ? Madame Widmer-Schlumpf, la nouvelle présidente de la confédération, a-t-elle vraiment choisi de se montrer devant cette image ou voulait-elle juste s’afficher devant un sous-bois ? On le saura peut-être. Et on se demande si cette photographie officielle ressort d’un banal manque d’imagination ou d’un parti pris de distanciation marqué par une certaine modernité. Corollairement, je sais maintenant comment cette exposition m’a fait penser à l’image du conseil fédéral ;-)

En cherchant un tout petit peu, on trouve un détail qui n’a été exploité ni par la chancellerie fédérale, ni par la presse (endormie). L’image du sous-bois ne provient pas d’un supermarché. Il s’agit d’une peinture du Suisse Franz Gertsch, un des acteurs importants de la peinture hyperréaliste. Ce courant, qui a explosé dans les années 70, a vu des peintres, principalement américains, s’attacher à reproduire des photographies avec un luxe de détails spectaculaires sur des toiles de grand format. Franz Gertsch a débuté sa carrière internationale en 1972 à la documenta 5 à Kassel, invité par le curateur Harald Szeemann. Aujourd’hui, il est un des rares peintres à disposer, de son vivant, d’un musée qui lui est dédié. En 2007 il se lance dans la réalisation d’un cycle de 4 toiles de grand format consacré aux 4 saisons. Il a alors 77 ans et il sait que chaque toile l’occupera pendant près d’une année. En été 2011, le Kunstmuseum de Zürich lui a consacré une grande et (semble-t-il) belle exposition. Les quatre saisons y figurent au centre et suscitent l’admiration. C’est devant une de ces toiles que pose aujourd’hui le conseil fédéral. Elles sont actuellement exposées au Museum Franz Gertsch à Bertoud. Je suppose qu’on n’a pas demandé à cet aréopage surbooké de se déplacer in corpore au musée pour prendre la pause. Celle-ci aura été réalisée en studio sur un fond facilitant le détourage. L’incorporation devant cet arrière-plan, pourtant très fouillé, est bonne. Mais comme toujours, c’est vers les pieds qu’il faut regarder pour déceler le montage. Les reflets sur les souliers sont bleutés, ils ne proviennent pas du même univers colorimétrique que le parquet et les ombres immédiates autour des souliers sont plutôt irréelles. En continuant de scruter l’image en haute définition, on trouve aussi quelques légers défauts de détourage.

Une question a beaucoup agité la critique, lors de l’émergence de la vague hyperréaliste : (je simplifie) les peintres hyperréalistes s’attachent-ils à reproduire la réalité d’une photographie ou à reproduire une réalité qui a été photographiée ? Autrement dit, la photo n’est-elle qu’un outil intermédiaire, bien commode pour arrêter le temps et permettre de travailler durablement en atelier, ou alors est-ce une fin en soi, un modèle à disséquer et à reproduire ? Les réponses ont été diverses et nuancées selon les critiques, les artistes, ou même selon les oeuvres considérées. Toujours est-il, qu’il faut bien constater que sur la plupart des peintures hyperréalistes, on assiste à la reproduction fidèle des artefacts constitutifs de la photographie (principalement le bokeh), une vision qu’un peintre ne pouvait envisager avant l’apparition de la photographie. Si on admet ce principe des hyperréalistes, il faut bien constater que cette nouvelle image du conseil fédéral constitue une vertigineuse mise en abyme. Nous avons la photo d’un sous-bois, fidèlement reproduite en peinture, qui elle-même va servir de fond photographique pour « décorer » la photographie officielle.

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Le printemps - détail
© Franz Gertsch

Tout ça pour ça ! Il ne faut pas se leurrer, personne lors de la conception de cette image n’a imaginé tout ce que ce « montage » pouvait potentiellement engendrer comme trouble interprétatif. Je pense qu’on a voulu primairement montrer un sous-bois printanier. Le vernis culturel procuré par l’utilisation d’une peinture est probablement arrivé en plus, et d’ailleurs, son aura n’a pas été vraiment exploitée [1]. C’est un peu dommage pour la peinture, car réduire une toile hyperréaliste de presque 5 m de large (325 x 480 cm) à un format à peine plus grand qu’une carte postale n’a pas beaucoup de sens. On privilégie ainsi le sujet dans sa banalité première, alors que chez les hyperréalistes tout l’intérêt se situe dans la réinterprétation en format géant de cette banalité pour lui donner une épaisseur. Ici, cette épaisseur ne se devine même pas. Le spectateur non averti ne voit que le paysage et c’est un peu comme si on niait tout le travail du peintre. On ira jusqu’à dire que pour cet usage, un sous-bois de bricocentre aurait tout aussi bien pu être utilisé. Ce qui nous fait retomber dans la banalité évoquée au début de ce billet. Oui, tout ça pour ça ;-)

Et l’expo de l’Élysée alors ?

Pas mal. Mais comme toujours quand on réunit beaucoup d’auteurs dans une thématique, le résultat est très inégal. Entre ceux qu’on aime spontanément avec toute notre subjectivité, ceux qui ne nous touchent que peu - mais qui ont leur place dans le propos de l’exposition - et ceux dont on se demande ce qu’ils ont à voir avec le sujet, il y a une grande marge d’appréciation. Ce qui est intéressant c’est de prendre conscience de ce que la photo a pu apporter de nouveau à une époque donnée et de mesurer combien on a tendance à assimiler ces apports jusqu’à oublier qu’il a bien fallu les inventer un jour. Prendre du recul, quoi.
L’exposition CONTRE CULTURE / CH fermera le 29.01.12.

Au sujet de Hans Gertsch,

on verra avec plaisir cette vidéo tournée lors de son exposition du Kunsthaus de Zürich (2:50) et avec beaucoup d’intérêt cette autre vidéo (8:01) où on le voit peindre le tableau de l’hiver du cycle des quatre saisons. Cette galerie présente des photos de la célèbre série des peintures qu’il a réalisées sur Patty Smith. Enfin, pour se (re)plonger dans le mouvement hyperréaliste on visitera hyperrealism.net.

Retrouvez mes précédents billets

sur la saga des images du Conseil Fédéral ici : 2011 - 2010 - 2009 A - 2009 B - 2008 - 2007

Notes:

[1] ... comme peuvent le faire certains politiciens populistes et hâbleurs en posant devant un tableau de Hodler ou d’Anker, oeuvres à partir desquelles il est assez facile de récupérer des valeurs suisses traditionnelles.

Béat Brüsch, le 13 janvier 2012 à 15.28 h
Mots-clés: culture , exposition , musée , peinture , peoples
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Les banques, le chocolat, la propreté ou l’horlogerie sont autant de clichés très répandus de la Suisse. Si ces derniers s’inspirent bien de faits concrets, qu’en est-il de tous les mythes, croyances et symboles qui fabriquent l’imaginaire du pays ? Comment sont-ils nés ? Comment fonctionnent-ils ? Gianni Haver, sociologue de l’image, vient de publier L’image de la Suisse pour faire le tour de ces questions.

De nombreux éléments disparates contribuent à former des représentations mentales qui sont autant d’images des qualités supposées des Suisses, de leur culture et de leur identité. À l’usage de l’étranger, on trouve quelques stéréotypes bien pratiques parce que sommaires et vite assimilés. À l’instar des Français, qui sont tous coiffés d’un béret et portent une baguette de pain sous le bras, les Suisses, s’ils ne sont pas banquiers, gardent leurs vaches pour fabriquer du chocolat au lait. Si les clichés en vigueur à l’extérieur du pays sont finalement peu nombreux, il en va tout autrement pour ce qui est de « l’usage interne ». Les images qui parlent d’eux-mêmes aux Suisses sont extrêmement nombreuses et variées. Plusieurs mythes (Guillaume Tell, serment du Grütli) sont instrumentalisés pour forger une conscience nationale. Historiquement, on explique la profusion d’images identitaires nationales par le fait que la Suisse est un amalgame de 26 petits pays (cantons) qu’il fallait inscrire dans un destin commun. Des symboles et des allégories diverses sont construits pour tendre un miroir identitaire aux Suisses et renforcer leur sentiment d’appartenance à un groupe particulier (Sonderfall).

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Statue de Guillaume Tell à Altdorf
© Béat Brüsch

Ces signes sont utilisés par les instances politiques ou économiques ainsi que par tout organisme pouvant y trouver un intérêt promotionnel. La publicité (qu’elle s’adresse aux Suisses ou aux consommateurs de l’étranger) en fait un grand usage. Les partis politiques, en particulier ceux qui prônent un repli identitaire, abusent de cette symbolique nationaliste. Comme c’est le cas pour toutes les images, un même symbole peut revêtir diverses significations. A ce titre, l’exemple de la Croix-Rouge (une croix suisse aux couleurs inversées) est significatif de l’ambivalence de certaines de ces images : pour la Suisse, c’est une formidable image de probité, de neutralité et de tradition humanitaire [1] qui circule dans le monde, alors que le CICR utilise les mêmes symboles pour « vendre » ... sa probité, sa neutralité et sa vocation humanitaire. On tourne en rond, mais c’est une symbiose qui fonctionne !

À parcourir le livre de Gianni Haver, il semble bien que la Suisse produise plus d’images identitaires que d’autres pays. (Mais en prétendant cela, ne suis-je pas déjà victime d’un particularisme suisse ?) Heidi, Winkelried, le général Guisan, la fondue, le Cervin, la Croix-Rouge, toutes ces images et bien d’autres (souvent ignorées de l’étranger), sont décortiquées par l’auteur. Dans de brefs textes bien documentés il nous explique simplement leur genèse, les contextes qui ont favorisé leur élaboration et comment elles sont utilisées.

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© Mix & Remix

Quand on se saisit de l’ouvrage on ne perçoit pas immédiatement le sérieux de son propos, car on est tout de suite embarqué par les dessins piquants de Mix & Remix, toujours aussi confondants de bon sens et de simplicité pour une efficacité humoristique maximale.

Dans le livre, les éléments qui forment l’imaginaire collectif des Suisses sont répartis en plusieurs chapitres judicieusement structurés. Ils permettent une consultation du livre dans le désordre (oui, même en Suisse !) en se frayant son propre chemin. Chaque chapitre se termine par une partie iconographique réunissant les reproductions des documents les plus significatifs (imprimés un peu à la louche sur un papier « uncoated »). Cette partie, indispensable pour qui veut « voir de ses yeux », me laisse un peu sur ma faim, car j’aurais voulu en voir plus. Bien que le choix des pièces soit pertinent, la quantité restreinte de documents me donne une impression de « service minimal ». Il est vrai que le livre ne s’adresse pas à un public spécialisé et que, par ailleurs, les chercheurs sont supposés connaitre les corpus qui fondent leurs analyses. Mais quid du public qui s’intéresse aussi à la recherche ?

Plus d’une trentaine de clichés sont ainsi passés en revue et il n’en manque qu’un, à mon sens : comment ne pas évoquer Betty Bossi, l’égérie consumériste des ménagères suisses ? C’est dans son catalogue d’instruments de cuisine, aussi ingénieux que superfétatoires, que l’on mesure le niveau du perfectionnisme helvétique. Cela ressemble à la quête d’un absolu en lutte permanente contre le chaos du monde ! Cette exigence de perfection produit des cuillères qui ne tombent pas dans le plat, des couvercles à retourner les röstis sans en mettre la moitié par terre, des presse-vermicelles miracle à disposition optimale des trous pour obtenir des vermicelles bien réguliers ainsi qu’une multitude d’éplucheurs magiques en set de trois, pour les petites, les moyennes et les grandes carottes, le tout destiné à faire déborder les rangements de toutes les cuisines suisses qui se respectent. Bien sûr, ce perfectionnisme s’applique généralement à de plus nobles desseins, mais de constater où il va se nicher en dit long sur son enracinement.

Au final, le livre se présente comme un agréable condensé d’Histoire suisse ayant fait l’école buissonnière en se promenant dans les images. Gianni Haver est sociologue de l’image à l’Université de Lausanne. Mix & Remix est le dessinateur connu surtout pour ses dessins humoristiques publiés dans l’Hebdo. L’image de la Suisse, 127 pages, 18.00 CHF, est publié aux éditions LEP. On peut le commander chez l’éditeur et aussi en consulter quelques bonnes feuilles.

Notes:

[1] Image un peu écornée tout de même avec des campagnes récentes stigmatisant certaines catégories de la population.

Béat Brüsch, le 16 novembre 2011 à 10.14 h
Mots-clés: culture , histoire , mythe
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Les Suisses se préparent à élire leurs représentants pour les deux chambres nationales. Tout le monde a relevé l’aspect terne de la campagne. Le citoyen peine quelques fois à bien discerner ce qui caractérise les différents partis, car leur nombre fait qu’il est inévitable que les divers programmes se recoupent. De plus, en cours de législature, de nombreuses alliances ponctuelles, mariant la carpe et le lapin, donnent de ces parlements une impression de gros centre mou très éloigné des préoccupations du peuple. De nombreux citoyens résument leur désintérêt par un sempiternel : « De toute façon, ils font ce qu’ils veulent », dénotant ainsi une incompréhension marquée d’un sentiment d’impuissance.

Lors de chaque votation, l’autorité qui l’organise (confédération, canton, commune), édite une brochure explicative. Traditionnellement, il s’agit d’une présentation très officielle des textes de loi, des enjeux et des conséquences de la votation. L’aspect visuel, maussade et minimaliste annonce la couleur (si l’on peut dire, car souvent il n’y en a pas beaucoup !). Le ton rigide et compassé des textes laisse deviner que sa rédaction a été confiée à une armée de juristes répartis équitablement selon une formule alliant la représentativité des partis à celle des forces ayant droit de cité pour la votation en question. Cet art, tout helvétique, du compromis est la méthode garantie pour produire une soupe confédérale (cantonale, communale) que seuls les volontaires armés d’un solide sens civique peuvent digérer. Pour couper court, nombre de votants se rendent directement à la page salvatrice où sont présentés les mots d’ordre des partis, ce qui souvent, leur donne un résumé utile des enjeux du vote. (Pour les élections on ne peut pas recourir à cette astuce puisque ce sont alors ces mêmes partis qui sont en jeu ;-) Cela fait bien des années que je vote par correspondance et l’autre jour, en ouvrant mon enveloppe, j’ai eu la surprise d’y trouver une brochure explicative plutôt attrayante. Dès la couverture, avec un titre métaphorique et une photo en quadrichromie, on sent qu’on a affaire à une publication réalisée avec des compétences de communication professionnelles. La suite, toujours en quadrichromie, ne dément pas la première impression. Les photographies, en pleine page, sont de qualité « publicitaire » et soulignent le propos métaphorique induit par les textes. Elles dénotent sans ambiguïté qu’on se situe dans le régime illustratif. Les allusions gastronomiques constituent une sympathique allégorie déchiffrable même par les lecteurs les moins entrainés. L’organisation des contenus se présente sur deux niveaux : les pages de gauche affichent la présentation des différents partis qui ont fourni pour cela leurs propres textes (mais pas les images !) et les pages de droite qui, de façon autonome, égrainent différents thèmes allant de l’incitation à se rendre aux urnes jusqu’aux aspects techniques. Pour qui se donne la peine de les lire - oui je sais, on ne doit pas être nombreux ! - ces pages constituent un bon petit rappel d’instruction civique non dénué d’audaces drolatiques, comme : « La Suisse compte certainement plus de variétés de fromages que de sièges au Conseil national. Coulants ou extra-durs, doux ou corsés – l’abondance rend le choix difficile. » Malheureusement, la lecture des pages de gauche, elle, donne vite la nausée, tant les poncifs et les promesses déraisonnables ont du mal à échapper à la xyloglossie ordinaire. La mise en page typographique, sobre sans être ennuyeuse (le bon chic bon genre typiquement helvétique), est une bonne illustration de la permanence de cette typographie suisse qui a, parait-il, tant marqué le style typographique international.

Je n’ai pas lu ou entendu beaucoup d’appréciations sur cette brochure, mais je pense qu’il doit bien se trouver quelques esprits chagrins pour déplorer cette « mascarade » ainsi que son coût, sûrement « exorbitant ». [1] Pour ma part, je pense qu’un peu de savoir-faire en communication de la part des autorités ne peut être que bienvenu face au rouleau compresseur publicitaire mis en branle par de grands partis. Un peu de finesse dans le propos démontre qu’on peut faire de la com autrement qu’en visant au-dessous de la ceinture. Même si cela ne change rien à la qualité du travail parlementaire, la tentative d’amener quelques citoyens de plus à s’y intéresser vaut bien cet effort.

On peut télécharger la version .pdf de cette brochure sur le site de la Chancelerie fédérale.

Notes:

[1] Le coût total de ces élections serait compris entre 15 et 20 millions de francs. La démocratie est un luxe !

Le graphique sous forme de gâteau a semble-t-il été mal digéré par des partis qui ne s’y sont pas reconnus.
- Le parti du travail, plus doué en cuisine politique qu’en communication, n’a pas apprécié que la chancellerie fédérale ne l’ait pas suivi dans sa valse des étiquettes.
- Les verts, eux, n’ont pas aimé se retrouver plus conservateurs que les socialistes et affirment vouloir « ...interpeller le National pour interdire ce genre de graphique. Après les élections. » Dans un sens on peut les comprendre, mais ne sont-ce pas justement les partis les plus conservateurs qui ne pensent qu’à interdire la libre expression ?

Béat Brüsch, le 20 octobre 2011 à 11.17 h
Mots-clés: illustration , métaphore , société
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Pour le 10e anniversaire des attentats du 11.09, le Times Magazine publie : Revisiting 9/11 : Unpublished Photos by James Nachtwey. Un portfolio de 16 images accompagne l’article (je me réfère à la version en ligne sur Time LightBox). Le grand photographe de guerre se trouvait à New York ce jour-là et les photographies (argentiques) qu’il rapporta de son immersion sur les lieux ont été largement diffusées par la presse au point que certaines sont devenues des icônes. Selon Times Magazine, les images présentées aujourd’hui seraient « inédites » (never before seen photos from Ground Zero). Cela n’est pas tout à fait exact, car si certaines n’avaient réellement jamais été publiées, il s’agit surtout de doublons figurant sur le même rouleau de film.

Sur Google+, Max Hodges, lui-même photographe documentaire (documentary photograph), déplore les lourdes interventions opérées sur ces photographies dont il a retrouvé les versions publiées à l’époque. Et c’est vrai que les différences (de luminosité, de température de couleur, de contraste local) sont assez frappantes. Il détaille ensuite les règlements (pathétiques) sur la manipulation des images en vigueur chez AP et Reuters. Mais il est bien seul, Max Hodges, à protester de ces réinterprétations. Intervenant aussi sur BoingBoing, il ne suscite que peu de réactions. (Puis, dans une mise à jour de son billet, il adoucit un peu son propos.)

Passer la souris pour voir l’image de 2001

Le flux de production ordinaire des images de presse ne permet pas aux photographes d’intervenir sur le rendu de leurs images. Dans l’urgence des attentats, on imagine bien que ce fut le cas aussi en 2001. Les images auront été postproduites par un technicien surtout préoccupé par la précision des détails et un rendu des couleurs crédible. Presque la routine, quoi, n’était l’évènement exceptionnel. Dix ans plus tard, Nachtwey raconte dans l’interview qui accompagne son portfolio, qu’il n’avait jamais revu ses planches de contact de 2001. Il les avait en quelque sorte enfouies au plus profond de sa mémoire comme une horreur qu’on ne veut plus voir. Dans le blabla qui suit, on retrouve les poncifs habituels quant au « pouvoir des images » et autres « valeurs sociales de la communication ». Mais rien, hormis le terme « revisiting » du titre, ne nous informe précisément sur la réalité d’un travail de postproduction, de réinterprétation. Toujours les mêmes cachotteries. On ne prend peut-être pas les lecteurs pour des cons mais on fait « comme si » !

Je déplore toujours cette désinvolture des organes de presse, cela d’autant plus que la « revisite » de Nachtwey me réjouit énormément. Ce n’est pas rien que de constater que, celui qui est considéré comme le plus grand photographe de guerre en activité, s’adonne à ce « péché » consistant à retravailler les couleurs et les contrastes des ses images ! Si seulement il pouvait, en plus, le dire ouvertement. Dans le film War Photographer qui lui est consacré (Christian Frei, 2001) j’avais été frappé par une longue séquence où l’on voyait James Nachtwey et son tireur recommencer inlassablement un grand tirage papier, avec force maquillettes, frottages et autres bidouilles argentiques un peu aléatoires, jusqu’à l’accomplissement des volontés du maître. Je m’étais dit alors que Nachtwey serait bien aise de découvrir le numérique avec l’étendue et la facilité des traitements à postériori. Eh bien c’est fait, il a trouvé et il s’en sert ! J’espère que cela va finir par se savoir et qu’un exemple venu de si « haut » contribuera à désinhiber certains comportements et règlements timorés.

Le travail de « revisitation » de Nachtwey me semble plutôt bien réalisé, dans la mesure où il a cherché à construire l’expression d’une vision dramatique telle qu’il l’a ressentie, ou du moins telle qu’il s’en souvient. Pour moi, ce n’est pas du tout la même chose qu’une photographie soit retravaillée par son auteur ou par son éditeur. Certes, « il a mis le paquet », comme on dit. Mais ses nouvelles images en disent bien plus sur le drame auquel il a assisté que les froides images vues lors de leur première parution. Elles incarnent ici une véritable objectivation de la douleur. Il faut également prendre en compte que ce travail s’inscrit dans le contexte du vaste mouvement de commémoration auquel nous assistons ces jours en cherchant à donner un peu d’épaisseur à des images qui font partie des plus médiatisées de ces 10 dernières années.

Dans son billet, Max Hodges cherche à catégoriser les genres : Nachtwey est-il un artiste-photographe ou un photographe de presse ? Mais on s’en fout ! Il n’y plus guère qu’à Visa pour l’image qu’on cherche à nous faire croire en une sacrosainte objectivité de la photo de presse, qu’il n’y a pas de recherche d’effets visuels spectaculaires ou de mises en scène (à priori ou à postériori), bref, que les photographies de presse sont les témoignages froids d’une réalité intangible. L’honnêteté d’un photographe de presse ne se mesure pas sur l’échelle d’un règlement tatillon. Ce qui fait sa force, c’est son engagement, son ressenti face à un évènement. Qu’il traduise cela par les moyens visuels - quels qu’ils soient - à sa portée, me semble aller de soi. Bien sûr, il y aura toujours des gros maladroits poussant tous les curseurs à fond sans aucun discernement. Pour ceux-là, pas besoin de règlements qui encombrent tout le monde. Comme dans toutes les professions, ils se disqualifieront d’eux-mêmes par la piètre qualité de leur travail.

Si les grandes stars du photojournalisme se mettent à revisiter leurs images, je me demande ce que nous réserve le prochain palmarès du WorldPressPhoto...

Béat Brüsch, le 12 septembre 2011 à 23.51 h
Mots-clés: photojournalisme , presse , retouche
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Les prix du World Press Photo 2011 ont été attribués vendredi 11 février. Le premier prix a été attribué à Jodi Bieber pour son portrait d’une jeune afghane dont le nez et les oreilles ont été coupés par des talibans parce qu’elle avait quitté son époux. Si vous n’étiez pas abonnés au Times qui a publié cette photo en août 2010, vous la trouverez aisément sur l’un des milliers de blogs et sites de news qui l’ont diffusée durant ce dernier week-end. Pour l’instant, il semble que les différents choix du jury ne font pas trop de vagues et que les polémiques passées sont apaisées. La disqualification de Stepan Rudik en 2010 a probablement servi d’avertissement sévère aux photographes tentés par une postproduction sortant des limites traditionnellement admises. [1]

Pour essayer de dépasser les lieux communs et les certitudes assénées en une seule phrase qui émaillent les commentaires de nombre de sites qui ont repris les résultats du WPP, on peut se poser quelques questions utiles, comme celles que formule Vincent Lavoie : ...« Mais que récompense-t-on exactement par l’attribution d’un prix du World Press Photo (WPP) ? Le photographe, l’image ou l’événement ? Si le photographe est le destinataire des honneurs, l’est-il pour son engagement éthique, sa probité journalistique ou son talent et ses habiletés esthétiques ? L’image est-elle primée en raison de sa valeur informative et testimoniale ou à cause de ses propriétés formelles et narratives ? Et l’événement, le retient-on pour sa valeur historique ou pour sa photogénie ? Les informations publiées sur le site de la fondation du WPP à l’attention des candidats sont bien laconiques sur la nature et l’objet du mérite. »... On trouvera un historique de l’émergence des « préceptes normatifs de l’image de presse » donnant quelques réponses à ce questionnement dans l’article de Vincent Lavoie paru dans la revue Études photographiques. [2]

Une des récompenses du jury m’a toutefois interpelé, du fait de sa nature volontairement polémique. (Quelques blogs anglophones s’en sont émus aussi.) Le photographe Michael Wolf a reçu une mention honorable pour son « travail » basé sur la collecte de photographies issues de Google Street Views. Michael Wolf est un photographe qui a déjà remporté 2 premiers prix du WPP avec de « vraies » photographies. Dans une interview au British Journal of Photography, il prétend que ces images sont « ses » photos, car il n’a pas fait de simples copies d’écran. Il a utilisé sa camera, montée sur un trépied, pour cadrer le détail exact qu’il voulait. « Ces images n’appartiennent pas à Google, car je réinterprète Google. Je m’approprie Google. Si vous considérez l’histoire de l’art, il y a une longue histoire de l’‹appropriation. » En effet, l’art d’appropriation (appropriation art) n’a pas fini de susciter de vives polémiques. [3] Il semble d’ailleurs que le souhait de Michael Wolf soit justement de provoquer une controverse autour de ces images. Cela ne devrait pas manquer.

Wolf n’est pas le premier à réunir des images insolites pêchées par les caméras automatiques de Google Street Views. Si vous ou moi publions ce genre de collecte, cela ressortira du domaine du signalement. Mais, que cela plaise ou non, si c’est le fait d’un photographe reconnu, cela change la donne. Surtout si le jury du WPP - qu’on a déjà vu plus frileux - se pique au jeu ! Je crains malheureusement que le débat ne se cantonne aux thématiques de l’art de l’appropriation, alors que l’occasion est trop belle de parler, plus généralement, du déluge d’images de toutes natures qui circulent sur nos réseaux, de ce que nous en faisons et de leur influence sur les images diffusée par les canaux traditionnels. Comment contextualiser des images issues de caméras automatiques (j’allais dire aveugles !) ? Après les images des « journalistes-citoyens » munis de téléphones portables, l’iconographie issue des caméras de surveillance peut-elle concurrencer le travail des photojournalistes ? Quels sont l’intérêt et la légitimité de ces images en tant que documents ? La sérendipité présente-t-elle un quelconque intérêt pour des recherches journalistiques ? L’intérêt du travail de Wolf ne serait-il pas de réhabiliter le travail du journaliste en mettant le doigt sur les lacunes de ces images automatiques ?

Google Street View, la prolifération des caméras de surveillance, mais aussi d’autres applications qui, j’en suis sûr, sont en train de germer dans les cerveaux de nos géniaux contemporains, alimentent des flux d’images gigantesques. Les quantités d’images ainsi produites dépassent de loin les capacités d’analyse humaines et devront être traitées par des filtres logiciels pour être valorisées. Il en va presque de même pour les images qui documentent nos petits faits quotidiens, qui remplissent les mémoires de nos appareils mobiles et qui font le gros du trafic des réseaux sociaux. Ces images ont une « valeur » limitée, par leur objet et par la durée de leur intérêt. La quantité d’images de cette nature produites par une seule personne au cours de sa vie deviendra rapidement ingérable sans une assistance logicielle. Ou sans l’usage de la poubelle virtuelle ! Nous vivons déjà, mais cela va s’accélérer, dans une pléthore d’images. Notre capacité à mobiliser notre intérêt pour un grand nombre d’images ayant tout de même des limites, notre appétit pour les images finira par se saturer. La valeur des images pourrait bien se révéler inversement proportionnelle à la quantité d’images produites/disponibles. Dans ce cadre, des images réfléchies et très contextualisées, comme celles produites par les photojournalistes - mais pas que par eux - devraient regagner une position privilégiée, pour leurs qualités documentaires ou testimoniales et pour les valeurs iconiques qu’elles véhiculent.

Notes:

[1] Extrait du règlement du WPP :
11. Le contenu de la photo ne doit pas être modifié. Seules sont autorisées les retouches conformes aux normes actuellement admises dans le domaine de la photographie. Le jury est l’arbitre final de ces normes et peut, à sa discrétion, exiger le fichier original et non retouché, tel qu’enregistré par l’appareil photo, ou un scan brut (non manipulé) du négatif ou de la diapositive.

[2] Le mérite photojournalistique : une incertitude critériologique - Vincent Lavoie in Etude photographiques No 20 - Juin 2007 - La trame des images/Histoires de l’illustration photographique. Lisible en ligne ici.

[3] Pour en savoir plus sur l’art de l’appropriation on consultera cette entrée de WorldLingo. Pour quelques débats, on verra aussi ici, ici ou ...

Béat Brüsch, le 14 février 2011 à 15.27 h
Mots-clés: WorldPressPhoto , dispositif , photojournalisme
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