Mots d'images


Dans mon billet sur les photos « garanties sans retouche », je m’étonnais de la démarche de Philippe Ramette, cet artiste qui, à l’ère numérique, se met réellement en scène dans des positions périlleuses, alors qu’un travail de retouche relativement simple suffirait à réaliser les images qu’il produit. Pour se mettre en scène, l’artiste fabrique tout un attirail de corsets et autres prothèses techniques habilement camouflées. Et cela ne lasse pas de m’interpeler. Aussi, lorsque le MAMCO (Musée d’art moderne et contemporain - Genève) annonça l’exposition de Philippe Ramette - Gardons nos illusions, je m’y précipitai. J’allais enfin voir toute la « quincaillerie » mise en oeuvre pour se substituer à Photoshop !

Eh bien non. Rien. Enfin si, il y a plein d’objets. Et ce sont bien des prothèses de toutes sortes, poétiques, absurdes, cruelles, humoristiques, mais aucune, je crois, n’ayant servi à réaliser ces célèbres mises en scènes photographiées.

Et savez-vous... c’est très bien comme çà. J’étais venu pour voir le gadget technique et je ne l’ai pas trouvé. Je croyais que je pourrais comprendre ces images en voyant « l’astuce ». Comme un imbécile ordinaire, j’ai cru un moment qu’il suffisait de connaitre le détail des conditions techniques pour comprendre ce qu’il y avait dans l’image. Mais la technique n’est qu’un ensemble de moyens (certes nécessaires !) mis en oeuvre pour mettre en forme le projet. Sa trop grande prise en compte par le spectateur ne peut que brouiller le message. Un peu de « mystère » - au besoin, savamment entretenu - peut parfois ajouter de la magie à l’image. Et pour les photos de Philipe Ramette, il nous suffit de savoir qu’elles ne sont pas retouchées pour déclencher tout un jeu de sentiments, allant de l’interrogation à l’admiration en passant par le doute et la remise en question de nos certitudes. En fait, j’étais venu pour voir le doigt qui montre la lune... et j’ai failli ne pas voir la lune.

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Philippe Ramette - « Le suicide des objets »
© photo : Béat Brüsch

L’expo présente un accrochage classique des photos célèbres de l’artiste. Elles voisinent avec des objets-prothèses qui poursuivent d’autres chimères, d’autres métaphores. Ce n’est pas la même chose que de voir ces objets ou ces photos. Chacun y joue sa partition et il n’y a pas forcément de complémentarité. Certains objets sont la matérialisation d’une métaphore et constituent déjà presque des images [1]. Mais d’autres objets demandent un certain investissement de la part du spectateur. On ne nous fournit pas l’image. C’est à nous de l’élaborer en nous projetant par la pensée dans une expérimentation physique qui peut s’avérer impossible, voire cruelle. Les photos par contre - dont nous savons qu’elles utilisent d’autres dispositifs - nous emmènent sur des chemins mieux balisés, ou le surréalisme le dispute à la contemplation onirique et au questionnement de nos vies, précaires et superficielles. Et il y a dans ces photos, comme une « saine » distanciation que l’on n’éprouve pas forcément en présence des objets.

Dans d’autres salles du MAMCO, on peut voir simultanément une exposition de Christian Marclay - Honk if you love silence. Sommairement, on peut dire que ses domaines d’intervention se situent entre le son et l’image. Souvent, le propos est de « visualiser » le son (ou le silence). Dans cette exposition, il nous montre plus particulièrement ses photographies, qu’il accumule comme pour tenir un carnet de croquis. Il nous en présente différentes séries, composées d’une multitude de petites photos dérisoires, mais dont l’accumulation et l’association produisent du sens (et un bruit, imaginaire, mais assourdissant !). Le propos est rafraichissant et nous fait vraiment « voir » des sons, là où nous n’entendions pas grand-chose. On en ressort un peu moins malentendant ! À voir ici, une vidéo qui présente Christian Marclay et nous fait bien comprendre sa démarche et sa façon d’intervenir.

Les 2 expositions, réunies sous le titre Cycloptically, sont encore à voir jusqu’au 21 septembre. Présentation de l’exposition de Philippe Ramette ici et de Christian Marclay ici. Eloge du vertige - Article du Courrier sur l’exposition de Philippe Ramette.

Notes:

[1] Certains nous font penser, furtivement, au Catalogue d’objets introuvables de Jacques Carelman (1969).

Béat Brüsch, le 5 août 2008 à 11.25 h
Rubrique: Voir de ses yeux
Mots-clés: dispositif , exposition , métaphore
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