Mon billet consacré à la petite fille brûlée au napalm vient de dépasser les 10’000 consultations. Il figure largement en tête de la fréquentation de ce blog. (Les suivants n’affichent que 6900 et 3900 consultations). Le reportage qu’Arte a consacré à cette photo [1], il y a quelques jours, a donné un petit coup d’accélérateur : 500 consultations le jour de l’émission et environ 500 autres dans les jours qui ont suivi. Ce billet a été publié pour la première fois le 15 août 2007 sur l’ancienne formule de ce blog (qui ne disposait pas de statistiques aussi détaillées que celles que fournit Spip et qui n’entre donc pas dans ces calculs). Depuis le passage à la formule actuelle du blog (septembre 2008) il ne se passe pas un seul jour sans que le billet soit consulté plusieurs fois. [2] La très grande majorité des visiteurs provient de Google. [3] Loin derrière, on trouve quelques autres moteurs ou index. Parfois, quelques blogs et forums renvoient également au billet.
De ces données on peut rapidement déduire que la quasi-totalité des lecteurs de ce billet est constituée de visiteurs occasionnels (qui ne connaissent donc pas ce blog). Qui sont ces lecteurs et qu’est-ce qui les motive ? Pourquoi ont-ils soudainement l’idée de rechercher ce sujet dans Google ? Cette image est-elle tellement incrustée dans la culture collective pour qu’on ait spontanément envie d’en savoir plus ? Les entrants ont-ils entendu parler de cette image, par la presse, par des sites internet, par leurs amis ?
Il est certes établi depuis longtemps qu’il s’agit ici d’une des icônes les plus connues de la barbarie et des souffrances que les guerres modernes engendrent envers les civils. L’image de la douleur d’un enfant, symbole de pureté et d’innocence, ne peut qu’apitoyer le spectateur et déclencher les plus vives réactions. La sympathie naturelle que suscitent les enfants se transforme en une intense empathie lorsqu’ils sont victimes de souffrances. Pour beaucoup, cela représente la dernière des cruautés (il n’est qu’à voir les réactions ulcérées en présence de crimes sur des enfants). Ici, la nudité de la fillette, vue autant comme une atteinte à sa pudeur que comme un dénuement extrême, en rajoute au registre de l’effroi. Dès sa publication, l’image a fait grand bruit. Dans une période où la guerre du Vietnam - de plus en plus contestée - faisait continuellement la une des médias, elle a marqué les esprits au point d’obtenir rapidement son statut d’icône. La personnification ultérieure de la victime - qui s’en est sortie et mène une vie publique marquée par sa pénible expérience - compte sûrement dans la persistance de cette icône.
Il est difficile de caractériser le public intéressé par cette image. Si cette icône est aussi marquante, c’est moins parce que les valeurs qu’elle défend sont partagées par la plupart des gens, que parce que ce qu’elle montre est ressenti comme insoutenable par tout un chacun. Dès lors, tout le monde est susceptible de chercher des références sur cette image. Il suffit d’avoir une connexion internet. (Et du coup, mon questionnement est un peu vain ;-) Je ne suis pas pour un internet fouineur - comme il s’en profile dans certaines démocraties tout près d’ici - mais je ne peux m’empêcher de « remonter » vers quelques sources, lorsqu’elles s’affichent de manière transparente (referers). Pour ce que je peux voir (je n’ai aucune compétence de hacker) il y a effectivement une grande diversité de personnes s’intéressant au sujet. Tout au plus, ai-je noté que le sujet émouvait souvent un public de jeunes filles ingénues, découvrant avec écoeurement les cruautés du monde, ainsi que le « voyeurisme » et l’« insensibilité » des photographes de presse.
On peut remarquer qu’il n’y a aucun commentaire sur ce billet (ils sont maintenant fermés, mais ils sont restés ouverts pendant très longtemps). D’après les analystes qui constatent globalement qu’entre 1% et 1‰ de visiteurs laissent un commentaire, il devrait y en avoir entre 10 et 100 ! Ces visiteurs peu actifs ne sont sûrement pas des habitués des blogs ou, plus largement, des débats. Ils ne s’intéressent pas outre mesure à la photo (le principal sujet de ce blog), mais à un sujet figurant sur une photo, ce qui n’est pas tout à fait la même chose. (S’ils s’intéressaient à la photo, ils reviendraient peut-être, mais ce n’est pas ce que je constate.)
Pour tenter d’y voir plus clair, essayons de comprendre les données, objectives (?), fournies par les mots-clés que saisissent les visiteurs sur Google. En tête des demandes viennent Nick Ut et Kim Phuc (2e et 3e rang de la page de résultats). Cela pourrait dénoter que les visiteurs qui accèdent le plus au billet sont déjà des « connaisseurs » puisqu’ils savent les noms des protagonistes (dans un idiome peu familier, de surcroit). Mais cet effet est trompeur, car ce sont des noms propres. On peut les considérer, du point de vue d’un moteur de recherche, comme exclusifs. S’ils sont saisis correctement ils mènent au but sans histoires. Il n’en va pas de même pour tout un groupe de mots qui peuvent être permutés, réarrangés et réassortis pour obtenir un bon résultat. Ainsi, les ensembles... petite fille nue napalm, fille nue napalm, petite fille napalm, fille napalm, nue napalm, kim phuc napalm, nick ut napalm, etc... sont tous classés au premier rang de la page de résultats de Google. Ensemble, ils constituent la grande majorité des requêtes qui aboutissent. On peut remarquer que napalm en fait toujours partie, mais utilisé seul, il ne mène au billet qu’à la 3e page de résultats. Petite fille ou petite fille nue ne mènent à rien de ce que nous recherchons (on s’en doutait). En ajoutant d’autres mots tels que guerre, Vietnam, photo, brûlée, on arrive à de nombreux autres arrangements qui tous donnent un résultat dans les premiers rangs de la page. Google ne nous en apprend donc pas beaucoup sur les motivations des visiteurs tant les mots-clés utilisés sont banals et tombent sous le sens. Tout au plus, pourrait-on dire que Google fait bien son boulot, mais ce n’était pas le but de ce billet ;-) Il faut toutefois tempérer cette appréciation en considérant que les résultats actuels sur Google ne donnent pas un aperçu des plus utiles, car ils sont fortement mobilisés par le documentaire d’Arte, dont de nombreux sites signalent simplement le passage, sans apporter aucune autre information pertinente. Cela met en lumière un défaut du système de référencement de Google : le classement des résultats n’est pas forcément représentatif de la pertinence des contenus. Des sites, ayant de façon générale, un bon ranking, reprenant tous ensemble le même communiqué de presse sont capables de polluer des pages entières de résultats. Il faut ensuite beaucoup de temps pour constater une décantation.
Pour reprendre la thématique des images iconiques ou des images d’enfants victimes de la guerre, on peut relire ces articles :
• Edgar Roskis : Intifada pour une vraie paix - Images en boucle (Le Monde Diplomatique)
• André Gunthert, sur son ancien blog :
- Le nom de la rose
- Insoutenable : la guerre ou son image ?
Signalons 2 sources importantes (déjà mobilisées sur mon billet original) concernant l’image de la petite fille au Napalm :
• Horst Faas [4] and Marianne Fulton - The survivor - Phan Thi Kim Phuc and the photographer Nick Ut (in english)
• Gerhard Paul - Die Geschichte hinter dem Foto - Authentizität, Ikonisierung und Überschreibung eines Bildes aus dem Vietnamkrieg (auf Deutsch)
Notes:
[1] Docu dilué sur près d’une heure - alors que le contenu véritable tiendrait sur une feuille A4 - où on n’apprend aucune chose qu’on ne savait déjà et où on assiste surtout à un cabotinage du photographe qui frise l’indignité.
[2] Environ 19 visites par jour, en moyenne, depuis la nouvelle mouture du site.
[3] Tests effectués les 21 et 22.02.10 sur Google (fr).
[4] Responsable photo du bureau d’AP au Vietnam qui a pris sur lui de publier la photo.
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