Les Suisses se préparent à élire leurs représentants pour les deux chambres nationales. Tout le monde a relevé l’aspect terne de la campagne. Le citoyen peine quelques fois à bien discerner ce qui caractérise les différents partis, car leur nombre fait qu’il est inévitable que les divers programmes se recoupent. De plus, en cours de législature, de nombreuses alliances ponctuelles, mariant la carpe et le lapin, donnent de ces parlements une impression de gros centre mou très éloigné des préoccupations du peuple. De nombreux citoyens résument leur désintérêt par un sempiternel : « De toute façon, ils font ce qu’ils veulent », dénotant ainsi une incompréhension marquée d’un sentiment d’impuissance.
Lors de chaque votation, l’autorité qui l’organise (confédération, canton, commune), édite une brochure explicative. Traditionnellement, il s’agit d’une présentation très officielle des textes de loi, des enjeux et des conséquences de la votation. L’aspect visuel, maussade et minimaliste annonce la couleur (si l’on peut dire, car souvent il n’y en a pas beaucoup !). Le ton rigide et compassé des textes laisse deviner que sa rédaction a été confiée à une armée de juristes répartis équitablement selon une formule alliant la représentativité des partis à celle des forces ayant droit de cité pour la votation en question. Cet art, tout helvétique, du compromis est la méthode garantie pour produire une soupe confédérale (cantonale, communale) que seuls les volontaires armés d’un solide sens civique peuvent digérer. Pour couper court, nombre de votants se rendent directement à la page salvatrice où sont présentés les mots d’ordre des partis, ce qui souvent, leur donne un résumé utile des enjeux du vote. (Pour les élections on ne peut pas recourir à cette astuce puisque ce sont alors ces mêmes partis qui sont en jeu ;-) Cela fait bien des années que je vote par correspondance et l’autre jour, en ouvrant mon enveloppe, j’ai eu la surprise d’y trouver une brochure explicative plutôt attrayante. Dès la couverture, avec un titre métaphorique et une photo en quadrichromie, on sent qu’on a affaire à une publication réalisée avec des compétences de communication professionnelles. La suite, toujours en quadrichromie, ne dément pas la première impression. Les photographies, en pleine page, sont de qualité « publicitaire » et soulignent le propos métaphorique induit par les textes. Elles dénotent sans ambiguïté qu’on se situe dans le régime illustratif. Les allusions gastronomiques constituent une sympathique allégorie déchiffrable même par les lecteurs les moins entrainés. L’organisation des contenus se présente sur deux niveaux : les pages de gauche affichent la présentation des différents partis qui ont fourni pour cela leurs propres textes (mais pas les images !) et les pages de droite qui, de façon autonome, égrainent différents thèmes allant de l’incitation à se rendre aux urnes jusqu’aux aspects techniques. Pour qui se donne la peine de les lire - oui je sais, on ne doit pas être nombreux ! - ces pages constituent un bon petit rappel d’instruction civique non dénué d’audaces drolatiques, comme : « La Suisse compte certainement plus de variétés de fromages que de sièges au Conseil national. Coulants ou extra-durs, doux ou corsés – l’abondance rend le choix difficile. » Malheureusement, la lecture des pages de gauche, elle, donne vite la nausée, tant les poncifs et les promesses déraisonnables ont du mal à échapper à la xyloglossie ordinaire. La mise en page typographique, sobre sans être ennuyeuse (le bon chic bon genre typiquement helvétique), est une bonne illustration de la permanence de cette typographie suisse qui a, parait-il, tant marqué le style typographique international.
Je n’ai pas lu ou entendu beaucoup d’appréciations sur cette brochure, mais je pense qu’il doit bien se trouver quelques esprits chagrins pour déplorer cette « mascarade » ainsi que son coût, sûrement « exorbitant ». [1] Pour ma part, je pense qu’un peu de savoir-faire en communication de la part des autorités ne peut être que bienvenu face au rouleau compresseur publicitaire mis en branle par de grands partis. Un peu de finesse dans le propos démontre qu’on peut faire de la com autrement qu’en visant au-dessous de la ceinture. Même si cela ne change rien à la qualité du travail parlementaire, la tentative d’amener quelques citoyens de plus à s’y intéresser vaut bien cet effort.
On peut télécharger la version .pdf de cette brochure sur le site de la Chancelerie fédérale.
Notes:
[1] Le coût total de ces élections serait compris entre 15 et 20 millions de francs. La démocratie est un luxe !
Le graphique sous forme de gâteau a semble-t-il été mal digéré par des partis qui ne s’y sont pas reconnus.
Le parti du travail, plus doué en cuisine politique qu’en communication, n’a pas apprécié que la chancellerie fédérale ne l’ait pas suivi dans sa valse des étiquettes.
Les verts, eux, n’ont pas aimé se retrouver plus conservateurs que les socialistes et affirment vouloir « ...interpeller le National pour interdire ce genre de graphique. Après les élections. » Dans un sens on peut les comprendre, mais ne sont-ce pas justement les partis les plus conservateurs qui ne pensent qu’à interdire la libre expression ?
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