Tous les médias, et un bon nombre de blogs français ont parlé de la récente photo officielle du tout nouveau Président de la République. La Boite à Images et le blog Actualités de la recherche en histoire visuelle (vous ne pourriez pas trouver un nom plus commode ?) l’ont particulièrement assaisonnée. Et je suis bien d’accord avec eux ! J’ai voulu comparer l’incomparable : comment fait-on des photos officielles du gouvernement, ici, en Suisse ?
D’abord quelques différences (pour comprendre le contexte) :
Ici, il n’y a pas de président vénéré au pouvoir central omnipotent. Il y a un gouvernement collégial appelé Conseil Fédéral. Il est composé de 7 ministres issus de différents bords politiques, élus par l’Assemblée Fédérale (la réunion des 2 chambres). Chaque année, à tour de rôle, un des ministres devient le Président de la Confédération. À cette occasion annuelle, les « 7 sages » sont formellement réélus. Cela ne facilite évidemment pas les relations diplomatiques : on a vu souvent des hommes d’état étrangers (dont Chirac) s’emmêler les pinceaux avec les noms des Présidents de la Confédération ;-)
Le personnel politique n’est, en Suisse, pas entouré de la même pompe q’en France. On peut croiser un Conseiller Fédéral incognito dans une pizzeria sans qu’on aperçoive un quelconque garde du corps (peut-être sont-ils discrets ?) ou n’entende hurler une sirène. Il y a quelques années, on a pu voir, à l’aéroport de Genève, une trentaine de journalistes attendre l’arrivée de je ne sais plus quel ministre français (qu’il me pardonne) alors qu’aucun journaliste ne s’était aperçu que notre ministre des finances attendait de prendre un avion, tout seul dans la file avec les autres passagers.
La Suisse n’a pas de tradition monarchique.
...et bien d’autres choses encore qui n’ont pas leur place dans ce modeste billet.
En Suisse, la photo officielle du gouvernement change chaque année. Et le moins qu’on puisse dire, c’est que depuis une dizaine d’années on cherche parfois à être original en tentant, avec plus ou moins de bonheur, de se distancer d’une certaine rigidité officielle. On ne nous dit pas qui élabore, chaque année, le « concept » de la photo. Mais à bien les regarder, on peut clairement y sentir « la patte » (la personnalité, le style, les valeurs) du président du moment.
Florilège subjectif des tendances récentes...
(l’intégralité de ce qui est disponible est à voir ici, dans les archives du Conseil Fédéral) :
2001
- Président : Moritz Leuenberger, socialiste, chef du Département fédéral de l’environnement, des transports, de l’énergie et de la communication.
D’emblée on est frappé par le côté « design-contemporain-strict-et-branché ». En rupture totale avec ce qu’on peut attendre d’une photo du gouvernement, je la trouve pourtant très réaliste et même égalitaire dans son dénuement. La dominante de noirs fait bien ressortir les visages. J’aime assez, mais je comprends que cela ne puisse pas plaire à tous ceux qui considèrent encore et toujours que le noir exprime la tristesse.
2005
- Président : Samuel Schmid, Union démocratique du Centre, chef du Département fédéral de la défense, de la protection de la population et des sports.
Ici, il faut expliquer ce que sont ces caissons blancs. Il s’agit d’un fleuron du design contemporain suisse : USM. Ces meubles modulaires sont combinables à l’infini, très solides, assez chers et d’une beauté simple et formelle qui leur permet de cohabiter avec bien des styles contemporains. Ils sont très prisés pour l’aménagement de locaux de bureau et de réception dans les professions libérales et surtout de l’administration. C’est donc en tant que mobilier symbolique de l’administration qu’il faut voir ces piédestaux. Par ailleurs, le traitement en bichromie est un astucieux moyen d’« égaliser » les personnages, en gommant certaines disparités de couleurs de peau, qui sont comme on le sait, souvent difficiles à maîtriser en photo couleurs.
2006
Président : Moritz Leuenberger, socialiste, chef du Département fédéral de l’environnement, des transports, de l’énergie et de la communication.
La croix suisse est un symbole graphique fort, qui a été utilisé à tort et à travers. Alors là... ouais, bof, pourquoi pas. Il y a 2 variantes de cette photo (à voir en passant la souris sur l’image) car cette année-là, un Conseiller s’est retiré et a été remplacé par une Conseillère. Remarquez en passant que pour la 2e photo, 2 femmes sur 3 ont opté pour la jupe.
2007
- Présidente : Micheline Calmy-Rey, socialiste, cheffe du Département fédéral des affaires étrangères.
Très dynamique, ce gouvernement en marche. De plus, c’est une façon futée d’éviter les poses, toujours un peu crispées. Avec un bon slogan, on en ferait presque une affiche électorale ! J’aime beaucoup ce cadrage dans lequel on « dévoile » l’astuce du panneau blanc de la prise de vue. Le panneau fait, évidemment, bien ressortir les personnages. Et derrière et au sol, on aperçoit le décorum du Palais Fédéral, qu’on a voulu évoquer comme pour montrer que derrière la modernité, il y a toute la tradition. (Bon, je viens de la voir dans un journal, recadrée/resserrée sur le blanc. Z’ont rien compris, au service image !) Moi je trouve que cette photo a la pêche (la photo, hein... pour le gouvernement, je suis plus réservé).
Sur le site du Conseil Fédéral, vous verrez les photos depuis 1993, ainsi que les pages perso des Conseillers Fédéraux. Je n’ai pas trouvé les noms des photographes, auteurs de ces photos, sauf pour la dernière (2007) qui est de Julie de Tribolet.
Remarque : les plus perspicaces auront compté huit personnes sur chaque photo. La 8me est la Chancelière de la Confédération.
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