Mots d'images


Le 8 octobre, Interpol a lancé un appel au public pour l’aider à identifier un pédophile notoire. Extrait : ...« Bien que les photographies originales aient été retouchées par l’intéressé ou par ses complices afin que son visage ne soit pas reconnaissable, les spécialistes allemands du Bundeskriminalamt (BKA) travaillant en collaboration avec la Sous-direction Trafic d’êtres humains d’Interpol sont parvenus à obtenir une image exploitable. »... Le 15 octobre, grâce à plus de 350 témoignages du monde entier l’homme a été identifié.
Dans la presse, surtout dans les médias parlés, il a été beaucoup question de « floutage » et « défloutage ». Dans la presse écrite, on a pris quelques fois la peine de mettre des guillemets autour de ces termes. L’expression est bien pratique lorsqu’on est pressé, mais elle est inappropriée : elle pourrait faire naître de faux espoirs et de fausses craintes. Des espoirs, pour quiconque espère ainsi pouvoir identifier tous les suspects floutés du monde. Des craintes pour tous ceux qui ont été floutés lors d’apparitions ou de témoignages requérant l’anonymat.
Mais il n’en est rien. Le procédé utilisé par le pédophile est aussi vieux que Photoshop et ne peut pas être pris pour du floutage. (Jusqu’ici, je me demandais à quoi le filtre en question pouvait bien servir...) L’algorithme mis en oeuvre n’est pas très compliqué et cela explique qu’on puisse le faire fonctionner « à rebours ». Jusqu’à plus ample informé, je pense que ce n’est pas le cas avec de vrais procédés de floutage, ou d’autres méthodes introduisant une réelle perte d’information, impossible à recouvrer.
Exemple du procédé utilisé par le malfrat - légendes :
1. Image originale
2. Image manipulée
3. Image « démanipulée ». Un léger flou résulte de cet aller/retour.
Cela m’a pris quelques minutes, car j’avais conservé les paramètres et je n’ai eu qu’à les appliquer à l’envers. Aux policiers il a fallu un peu plus de temps, sans doute, pour retrouver ces paramètres en tâtonnant.

Comme pas mal de délinquants, celui-ci a été perdu par sa vanité. On ne sait si c’est l’enflure de l’ego qui affaiblit le sens critique et fait commettre ce genre de bévues, ou si la pulsion exhibitionniste est si forte qu’on laisse volontairement une petite chance de se faire reconnaître ?

Béat Brüsch, le 16 octobre 2007 à 22.50 h
Rubrique: Les nouvelles images
Mots-clés: droit , retouche
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Images vues à Visa 2007

Le destin d’Ahmad Masood était de devenir photographe de presse, mais il était loin de s’en douter. En 2001, l’Afghanistan est aux mains des taliban. L’Alliance du Nord, constituée de plusieurs groupes armés, s’est retirée dans le nord du pays par manque de moyens militaires. Mais tout change après l’attentat du 11 septembre, quand les États-Unis décident de soutenir massivement l’Alliance du Nord. Ahmad Masood a alors 21 ans et vit dans la vallée du Panchir, leur point de ravitaillement. Parlant parfaitement l’anglais (qu’il a appris seul) il propose ses services aux journalistes étrangers arrivant sur les lieux pour couvrir ce nouvel épisode guerrier. Il devient rapidement un « fixeur » efficace et apprécié, tant pour son entregent que pour sa connaissance de la culture afghane. Il mène les journalistes de Reuters dans tout le pays. Un jour, il doit se rendre à Mazar-i-Sharif pour un article et n’a pas de photographe sous la main. Il emporte un petit appareil numérique et réalise lui-même les photos. On découvre alors –et lui y compris !– son talent pour le photojournalisme. Il apprend le métier auprès des photographes de passage et devient rapidement le pilier de l’agence Reuters à Kaboul. Si vous saisissez son nom dans Google/image, vous verrez les images des actualités afghanes qu’il fournit à son agence. Mais ce n’est pas ces photos-là qu’il nous présentait à Visa. Masood poursuit une oeuvre parallèle dans laquelle il porte un regard attentionné, confiant, enjoué et presque optimiste à son pays. Il nous montre la beauté d’un peuple bien vivant, malgré les tensions qui le déchirent. À côté des dures réalités que nous voyons habituellement de cette contrée, ses images, presque apaisées, n’ont pas de prix. Et je me demande pourquoi cette vision en contrepoint ne fait pas plus souvent partie du travail des photographes de guerre ? Peut-être que ce n’est pas ce qu’attendent les médias de la part d’un photoreporter en zone de conflits... Dans le travail de Masood, on remarque beaucoup de photos de femmes en burka. (C’est le cas aussi chez d’autres photographes, vus à Perpignan, comme Véronique de Viguerie.) La beauté visuelle de ce vêtement, mêlée à l’horreur idéologique qu’il représente pour les occidentaux, ne lasse pas de fasciner les photographes. Ces drapés de princesse déployés sur un fond de brutalité produisent un contraste saisissant. Loin de m’en plaindre, je me réjouis au contraire, que la condition des femmes de ce pays puisse ainsi accéder (un peu) à une visibilité qu’elle n’obtiendrait peut-être pas autrement. Je n’ai pas retrouvé l’ensemble des photos de cette exposition sur un livre ou sur une galerie en ligne. Il nous faudra un peu de patience... Masood est encore jeune et son ascension est rapide. Trop rapide pour qu’un éditeur ne remarque son talent ? À suivre...

Béat Brüsch, le 9 octobre 2007 à 12.45 h
Rubrique: Voir de ses yeux
Mots-clés: guerre , photographe
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Images vues à Visa 2007

Sergey Maximishin doit être un géant. Il arpente un territoire immense, qui s’étend sur plus de onze fuseaux horaires, couvrant toute l’ancienne URSS et ses voisins au sud. Il cherche à comprendre ce qui arrive à son pays depuis que la perestroïka a voulu tout changer. Il se rend là où aucun photographe ne va et en ramène des images bouleversantes d’humanité, car ce qui l’intéresse, ce sont les gens. Ceux qui, sous tous les régimes, ont été oubliés. Ceux qui doivent bien continuer à se débrouiller pour vivre, en ramassant les miettes d’un gâteau que d’autres se sont attribué. Il ne se passe rien de sensationnel dans les images de Maximishin. Juste quelques petits désespoirs affleurants au détour de situations absurdes. Les poissons volent, même congelés. Les clowns tristes voyagent en autobus. On met sa plus belle cravate pour prendre le télésiège. Les bustes de l’Hermitage ressemblent à la gardienne du musée. Poutine a une tête de croque-mort. Tout est normal dans le pays. Rien ne bouge, mais tout peut arriver.
Les compositions sont magistralement agencées. Le sens du cadrage est époustouflant. La couleur, souvent en grands à-plats, y tient un rôle prépondérant. L’approche, pleine d’empathie, peut faire penser au courant de la photo humaniste né après guerre en France. L’humour grinçant en plus. Sergey Maximishin est né en 1964 en Crimée. Il fait son service militaire comme photographe dans l’armée rouge à Cuba. Il obtient un diplôme de physique à l’Institut polytechnique de Leningrad, puis il travaille dans le laboratoire d’expertise scientifique et technique du Musée de l’Hermitage. En 1998, il étudie à la faculté de photojournalisme de Saint Petersbourg. Il collabore un temps au journal Izvestia. Depuis 2003 il travaille pour Cosmos et Focus.
Sur son site internet, on peut admirer un généreux portfolio. (De mémoire, il contient la plupart des photos vues à Visa.) Allez-y, cela vaut largement le voyage.
L’exposition était tirée du livre : Le Dernier Empire : 20 ans plus tard, de Sergey Maximishin (Ed. Leonid Gusev, 40 €. Texte en anglais). J’ai cherché ce bouquin chez mon libraire favori, il ne l’avait pas. Et j’ai trouvé ceci sur internet... [MàJ : le livre est de nouveau disponible]

Béat Brüsch, le 2 octobre 2007 à 16.55 h
Rubrique: Regarder en ligne
Mots-clés: exposition , photographe
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Le clip 118 Projec’t est sorti le 18 septembre 2007 pour sensibiliser le public au nouveau numéro de téléphone des urgences. Suite à de récents changements, celui de la centrale d’alarme du feu (118) est régulièrement saturé de demandes de renseignements inopportunes (1811). Il faut dire, à la décharge des usagers, qu’aucune campagne d’information digne de ce nom n’avait été organisée jusqu’ici.
Las, les pompiers ont pris les choses en main. Pour un budget dérisoire de 2’000 Francs Suisses (environ 1’200 Euros), sans autre professionnel qu’un musicien, ils ont réalisé un clip qui cartonne sur l’internet et les télévisions du monde entier. À l’heure où je publie, YouTube en est déjà à 47’962 visionnements. [1]
Comme le dit Thierry Mertenat sur la Tribune de Genève (payant) : « Une leçon sans frais pour tous les professionnels du casting et des ruineux montages financiers. » Qu’il me permette d’ajouter : la fraîcheur et la spontanéité des acteurs, le côté « do it yourself » qui se voit un peu, ainsi que la sympathie générale du public pour les pompiers, sont des qualités constitutives du succès de ce clip. Et cela, il est vrai qu’aucun casting, ni aucune boîte de prod n’auraient pu le « fabriquer ».
Voir ici le site officiel des pompiers qui parlent de leur clip.

Notes:

[1] Mise à jour : 24 heures plus tard, il y a eu 67’516 visionnements.

Béat Brüsch, le 27 septembre 2007 à 12.50 h
Rubrique: Les nouvelles images
Mots-clés: amateur , publicité , vidéo
Commentaires: 2
Images vues à Visa 2007

Sous le titre « À marche forcée », Samuel Bollendorf a présenté à Visa, un reportage sur les oubliés de la croissance chinoise. Sous les dehors clinquants du « libéralisme communiste triomphant », le miracle économique a des aspects bien sombres. Les trois quarts des 500.000 paysans chinois vivent en dessous du seuil de pauvreté. Tout ce petit peuple de miséreux, les mingongs, est condamné à migrer à l’intérieur du pays pour se faire employer à vil prix, dans des conditions épouvantables, à la merci de pouvoirs corrompus. Samuel Bollendorf s’est rendu plusieurs fois en Chine pour réaliser ses photos.Il raconte dans une petite interview combien il a dû ruser pour réaliser son travail. En prenant connaissance de son reportage, on comprend aisément que la face qu’il nous présente n’est pas celle que souhaitent montrer les autorités à la veille de la grande opération de com qu’est l’organisation des Jeux olympiques. Au-delà de cette mascarade annoncée, ce reportage donne la mesure du cynisme sur lequel reposent nos échanges commerciaux avec la Chine. Nos entreprises ne pourront jamais être concurrentielles avec des systèmes érigés en bagnes. Quand on vous dit que l’argent n’a pas d’odeur...
Une galerie de 46 photos est en ligne ici (les commandes du diaporama sont tout en haut, à droite). N’omettez pas de lire les textes ! Les photos ont un aspect très brut. Je ne saurais dire si cet effet est recherché ou s’il est seulement dû aux conditions difficiles des prises de vue. L’éclairage naturel, sans aucun artifice et sans aucune volonté visible d’en améliorer le rendu, y est sans doute pour beaucoup. Cela demande parfois un petit effort de décodage. Toujours est-il que cette sorte d’impitoyabilité renforce l’effet dramatique (s’il en était besoin).
Le photographe français Samuel Bollendorf est né en 1974. Il est membre du collectif l’Oeil public depuis 1999. Depuis cette page, vous aurez accès à quantité de reportages de cette agence. « À marche forcée » a été réalisé grâce à une bourse du Centre national (français) des arts plastiques.

Béat Brüsch, le 24 septembre 2007 à 16.00 h
Rubrique: Regarder en ligne
Mots-clés: exposition , photographe , société , voir
Commentaires: 0
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