Mots d'images


La mode est aux animations accélérées. L’internet regorge de time-lapse, généralement dédiées à des ciels changeants, des villes animées ou autres paysages dont les mouvements ne sont perceptibles qu’en accéléré. Souvent spectaculaires, ces animations deviennent pourtant lassantes après quelques minutes, surtout si on n’a pas pris soin de couper le son ! Les musiques de bazar planantes ça va un moment ;-) et nous sommes très très loin de Koyaanisqatsi (1983) et des musiques de Phil Glass. [1]

La langue française n’offre pas de locution plaisante pour ces oeuvres. Animation accélérée, c’est précis, mais ça fait quand même un peu capilotracté. Les anglophones parlent de time-lapse (en 1 ou 2 mots, on trouve de tout) qui signifie littéralement temps-intervalle. Les allemands disent Zeitraffe (Zeit : temps ; raffen : abréger, condenser). A ne pas confondre avec le ralenti, le slow motion des anglophones et la très poétique Zeitlupe (loupe temporelle) des locuteurs de langue allemande.

Le procédé, qui consiste à projeter à 25 images/seconde des instantanés pris à des intervalles bien plus grands, n’est en rien nouveau. Il était jusqu’à présent utilisé majoritairement pour des travaux scientifiques et pour des films de vulgarisation scientifique.

Il semble que la majorité des productions récentes soit le fait d’amateurs, [2] car on ne distingue pas de véritable marché rémunérateur pour ces oeuvres. Nous sommes donc dans le domaine du hobby [3] et de la reconnaissance sociale pour toute rémunération. L’émergence de cette activité tient évidemment à la révolution matérielle de la prise de vue et à sa diffusion. La fabrication de ces petits films requiert beaucoup de temps et d’attention. Ces qualités, les amateurs en ont à revendre. Ils possèdent souvent un matériel cher et sophistiqué, qui peut ainsi trouver une « justification » en produisant des oeuvres spectaculaires.

Un sujet récurrent pour ces animations accélérées est le ciel nocturne. On y perçoit un véritable mouvement céleste, bien plus parlant que les sempiternelles photos de trainées d’étoiles obtenues en pause longue. La vision du déplacement de notre Voie lactée au-dessus de nos têtes est toujours impressionnante. Cela ne suffisait sans doute pas à BulletPeople qui s’est ingénié à changer un peu le point de vue. Sur des vidéos préexistantes, il a manipulé digitalement les images afin que le ciel y soit immobile et qu’ainsi le décor tourne autour des étoiles.

Cela n’a l’air de rien, mais ça change tout. Au (modeste) niveau des animations astronomiques accélérées, il s’agit ni plus ni moins d’une révolution copernicienne ! Le point de vue change ici radicalement. Au lieu de contempler prétentieusement un ciel tournant autour de nous, nous voici replacés dans une dimension plus humble, comme une toute petite partie d’un grand mouvement cosmique. D’une vue géocentrée (ethnocentrée !) nous passons à une vision dynamique bien plus proche des réalités physiques de notre position dans l’univers. Bien sûr, les auteurs de cette animation ne seront pas, tel Galilée, condamnés par un pouvoir aussi conservateur qu’ignorant. Après tout, il ne s’agit que d’images :-) (Aujourd’hui, les boulets du pouvoir immobiliste ont d’autres chats à fouetter. Fiers et sûrs d’eux, ils plastronnent leur ignorance et leur crainte du changement au sommet du eG8.)

Il est étonnant qu’on ait eu recours à un trucage pour arriver à ce résultat, alors qu’un simple trépied à monture équatoriale suffirait. N’importe quel astronome amateur équipé d’un petit télescope possède un tel pied. Il permet de pointer un endroit du ciel et de le rendre « immobile » en compensant le mouvement terrestre. De là à y fixer un appareil photo pour réaliser une animation accélérée il n’y a qu’un pas... qui, à ma connaissance, n’a pas été franchi. Le constat est étonnant, car les astronomes devraient, par la nature de leur travail, posséder une vision un peu « plus large » que le commun des mortels. Question de point de vue ?

Notes:

[1] Koyaanisqatsi - Godfrey Reggio -1983. Certains se souviendront de ce film étonnant réalisé en images accélérées ou ralenties. Le film peut être vu tantôt comme une ode au progrès, tantôt comme sa critique. Par de nombreux aspects, il est curieusement prémonitoire. Détail frappant : à un moment de la bande-annonce du film (2:40) on croit voir la chute d’une des Twin Tower ! En 1983 ! Sur YouTube vous trouverez de nombreux extraits du film.

[2] Par amateur, j’entends un pratiquant qui, quel que soit son talent, n’est pas payé pour son travail. Cela englobe des artistes et des pros qui sont rémunérés par d’autres activités.

[3] J’utilise un terme anglais, car je déteste celui de « passe-temps ». Le temps ne passe-t-il pas assez vite ? Faut-il encore l’aider ?

Béat Brüsch, le 3 juin 2011 à 01.18 h
Rubrique: Regarder en ligne
Pas de mots-clés
2 commentaires
Les commentaires sont maintenant fermés.
    1

    pour la note 1 : c’est parce qu’il y a eu l’écroulement lors de l’attentat des twin towers, me semble-t-il, qu’on croit remarquer quelque chose de prémonitoire : c’est (plus) probablement la destruction d’un édifice comme il peut arriver que l’homme en programme... (j’ai peur que la prémonition ne soit qu’une relecture, a posteriori, de faits réels...) (dommage ?) (à ce propos, j’ai vu sur els trottoirs de Paris, un pochoir proclamant "2012, même pas peur"... :°))

    Envoyé par PCH, le 3.06.2011 à 10.14 h
    En ligne ici
    2

    Non, je ne crois pas que ça soit souvent un matériel cher et sophistiqué.

    Je suis peut-être influencé par mes lectures, mais moi, je vois plutôt souvent (au contraire) du matériel relativement simple et bon marché qui est "bidouillé" pour faire du "time-lapse". Ça donne même plus l’impression que c’est plus un prétexte pour "bidouiller" du matériel. Mais, c’est vrai que ça ressemble plus à une démonstration technique qu’à autre chose... et qu’en effet, on reste un peu sur sa faim, déçu que ça n’aille pas plus loin. Comme si le but était juste de montrer "qu’on est capable" ou "que c’est possible", mais pas d’en profiter par la suite !

    Un peu comme un mème que les gens chercheraient à reproduire. Mais sans le pousser plus loin...

    Envoyé par DIY, le 3.06.2011 à 17.04 h