Mots d'images


Les visiteurs français de ce blog sont 2 fois plus nombreux que les Romands (les Suisses francophones). Voici donc, spécialement expliqué aux Français, le phénomène qui a agité notre paysage médiatique ces derniers jours (les Suisses ont le droit de lire aussi, mais ils sont peut-être déjà au courant).
Le peuple helvète est appelé aux urnes le 17 juin prochain, pour décider s’il accepte la 5e révision de l’AI (pour faire simple : une espèce de Sécu qui verse des rentes aux invalides) proposée par le gouvernement, ou s’il préfère le référendum qui a été lancé contre cette révision. Ce dernier est soutenu, entre autres, par l’USS (Union Syndicale Suisse). En gros (mais vraiment très gros, car cela n’est pas le sujet de ce billet), cette révision rendra l’obtention d’une rente d’invalidité plus difficile qu’avant.
Les syndicats, c’est bien connu, ne disposent pas de moyens astronomiques pour réaliser de grandes campagnes de presse. C’est pourquoi ils ont usé d’un vieux stratagème qui a très bien fonctionné. Cela leur a permis d’économiser des centaines de milliers de francs (1 Fr = environ 0,6 Euro) en frais d’espaces publicitaires.
Pour sa campagne en faveur du référendum, l’USS a édité une série de cartes postales comprenant des images-chocs. Elles représentent principalement des conseillers fédéraux (ministres [1]) transformés en invalides par les miracles de la retouche. Les trois ministres choisis, ainsi qu’un autre politicien, sont tous de droite ou d’extrême droite et sont précisément ceux qui ont « trempé » dans cette 5e révision.
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Tollé. Crime de lèse-majesté. Tous les grands journaux nationaux et régionaux, ainsi que la télévision se sont emparés des images scandaleuses de nos conseillers fédéraux mutilés et les ont reproduites. Dame, il faut bien documenter le lecteur ! Seule la radio, pour des raisons évidentes, n’a pas pu les montrer. Du coup, ces cartes postales, savamment envoyées aux grands journaux dominicaux qui en ont fait leur scoop, ont été vues bien plus que si elles avaient fait l’objet d’un plan-média. Et de surcroit dans les parties rédactionnelles !
A-t-on le droit de manipuler pareillement les images des conseillers fédéraux ? Est-il permis de travestir le statut des handicapés pour défendre des idées politiques ? Telles sont, très résumées, les questions qui se posaient dans les médias, dans les micros-trottoirs et au café du commerce. Ma réponse est simple : oui, puisque ça marche ! Tant que les médias continueront à flatter le voyeurisme du lecteur, ces opérations de com resteront profitables. Le scandale fait vendre. Et du coup, il permet aux protagonistes désargentés, mais culottés, de s’offrir un coup de pub sans bourse délier. Le vrai problème est que cette instrumentalisation de la presse risque de remplacer le débat de fond en le transférant sur le terrain émotif. Mais il faut dire aussi que ce risque est déjà présent dans toutes les opérations de com.
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Dans le détail, pour les diverses questions d’éthique qui peuvent se poser, voici quelques éléments de réponses :
- Les politiciens sont des personnages volontairement publics et à ce titre ils s’exposent à être caricaturés. Cela est d’ailleurs souvent considéré comme un signe de notoriété bienvenu.
- À ceux qui -immanquablement- fustigent le principe de la retouche de photos, je répondrais que nous sommes ici dans un cas typique où la retouche ne cherche pas à se dissimuler. Au contraire, en se montrant de façon si évidente, la retouche fait partie de la démarche métaphorique.
- M. Pascal Couchepin disait dans une interview à la Radio Romande « ... qu’il était attristé de l’image que l’on donne ainsi des handicapés » (je cite de mémoire). Il faudrait savoir si les handicapés sont des personnes comme les autres, ayant droit de cité, ou si on doit les cacher à la vue de leurs concitoyens ? Accessoirement, il faudrait également nous dire comment on peut représenter un handicapé par l’image...
- Je trouve que les textes accompagnant les diverses photos sont particulièrement pertinents. Pour qui est « un peu lent à la détente », ils expliquent et justifient pleinement l’utilisation de telles images.
Le site de l’USS se trouve ici. Pour en savoir plus sur ce référendum, rendez-vous ici. Vous pouvez télécharger les cartes postales imprimables (7 sujets) directement ici : pdf, 2.9 Mo.

Notes:

[1] Je reprends un petit texte déjà publié ici :
Pour nos amis français qui, pour la plupart, ne connaissent pas les institutions politiques suisses, disons que le Conseil Fédéral est le gouvernement de la Suisse. Il est composé de 7 ministres issus de différents bords politiques, élus par l’assemblée fédérale (la réunion des 2 chambres). Chaque année, à tour de rôle, un des ministres devient le président de la Confédération (cela nous évite de mettre le pays sens dessus dessous à chaque quinquennat !).


Addenda du 13.07.2008:

Selon le journal télévisé de la Télévision Romande de 19.30h de ce jour : « Vanessa Grand a été choquée de voir son corps utilisé sur un photomontage, où sa tête a été remplacée par celle de Hans-Rudolf Merz. Bien qu’également opposée à la révision, elle déplore surtout le fait que personne ne lui a demandé l’autorisation d’utiliser sa photo. » Après l’interview de Vanessa Grand, une porte-parole de l’USS, a exprimé ses plus plates excuses. Cela est évidemment extrêmement fâcheux. Comment ? À travers quels cheminements ? Sous quelles conditions juridiques, cette photo est-elle arrivée chez le retoucheur ? L’histoire ne le dit pas. Mais j’espère que nous le saurons... Ce qui est sûr, c’est que quelqu’un dans la chaîne de responsabilités a agi avec la légèreté d’un amateur, jetant du coup, le discrédit sur une campagne qui jouait déjà un peu avec le feu. Je remarquais dans un article sur le droit que l’on ne déplorait pas encore de cas de droit à l’image en Suisse... eh bien en voici un !

Béat Brüsch, le 3 mai 2007 à 16.45 h
Rubrique: A propos d’images
Mots-clés: droit , photomontage , publicité , société , éthique
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